Le trébuchet du seigneur rouge. Chapitre4

Le trébuchet du seigneur rouge. Chapitre4
Chapitre 4

- C'est trop loin... On n'y arrivera jamais... On est perdu!
- July! est-ce que tu veux bien arrêter, s'il te plaît!
- Pourquoi, tu vois bien que tout cela ne mène à rien.
- Comment peux-tu dire cela? On est bien là, tous les deux, dans le monde dont je t'avais parlé.
- Est-ce que tu en es sûr? Est-ce qu'on n'est pas plutôt chacun dans notre lit en train de dormir, de rêver?
- Et comment tu expliques que l'on est ensemble dans cette aventure?
- Je n'explique rien, j'en ai simplement assez de toute cette histoire. Je veux me réveiller et que tout revienne à la normale.
- Petite sotte, tu ne comprends pas que c'est la chance de ta vie? Il n'y aura peut-être plus une autre occasion de découvrir un autre monde.
- Je ne suis pas idiote! Au contraire, je n'ai pas envie de vivre dans le virtuel, dans je ne sais quelles élucubrations mentales.
- C'est sans doute le mental qui te fait mal aux pieds et aux jambes? Depuis un bout de temps, tu te plains du chemin caillouteux et des montées et descentes successives. Tu sens bien que ton corps vit ces choses, alors ne viens pas me faire croire que ce sentier n'est que le fruit de notre esprit.
- Quand bien même, tu m'as dit que le vieillard t'avait parlé de cinq jours de marche, or cela doit faire tout au plus quelques heures que nous sommes arrivés dans cette contrée. Il faudrait que le jour se lève et se couche plusieurs fois pour éventuellement arriver à ce rocher. Qu'est-ce que tu réponds à cela?
- Que l'on est peut-être plus loin que prévu ou plus près de notre destination. Il n'y a rien de logique dans ce qui nous arrive. De plus, dans les rêves, enfin si cela en est un, beaucoup de choses doivent être possibles. Le temps ne s'écoule peut-être pas de la même manière ou bien nous avons repris l'action plus loin dans ce temps ou encore le soleil...
- Bref, tu n'en sais rien et moi non plus.

Les deux adolescents sont plongés dans une nuit noire, aussi obscure que leurs interrogations. Une nuit sans lune, sans lumière, sans repos … mais pas sans appréhensions, sans craintes, sans espoirs, sans exaltation. Si on leur avait dit quelques semaines auparavant qu'ils en seraient là en cet instant, ils auraient bien ri ou tout simplement balayé cette idée d'un revers de la main.

Les pieds de Julie-Anne réclament sans cesse une pause tandis que l'esprit de Joachim fera bien d'en faire une. Que d’imaginaires évènements le traversent de part en part! L’ombre d’un rocher l'entraîne vers un combat fictif qu’un cri d’oiseau vient d'annoncer. Plus loin, une clairière l'emporte vers un château qui se dresse devant ses seuls yeux … mais au fur et à mesure de leur voyage à travers la forêt, il commence, comme sa sœur, à se fatiguer, et son estomac se rappelle à lui par des bruits qui s'ajoutent à ceux de la nuit. Quelle drôle d'équipée que cette sœur et ce frère si différents et pourtant si proches.

Julie-Anne, depuis quelques centaines de mètres, se plaint à répétition et pleurniche. Quand ce n’est pas un caillou dans sa basket ou une griffe, son frère a droit à des reproches, car bien entendu c’est uniquement de sa faute. C’était son idée, elle n’a fait que suivre. Pour elle, la nuit, c'est fait pour dormir. Elle entend des bruits et des craquements de partout. C’est comme si tout un peuple invisible sortait de terre pour envahir la forêt.

Tout à coup, un grognement les surprend, et il faut bien le dire, les effraie. Maintenant, c'est certain, il y a des êtres vivants autour d'eux. Ils les sentent, ils les voient apeurés, probablement même plus, ils sont morts de peur. En fait, ils ne se sont jamais sentis aussi vivants. Leur cœur est pris comme dans un étau, et leur sang martèle leur pouls. Ils sont jeunes, et l’idée de la mort ne les avait jusqu'alors pas tourmentés. Dans cette nuit, son ombre plane pourtant dans leur esprit.
Le grognement se rapproche et les buissons qui les encerclent bougent … C’en est trop! Ils crient de toutes leurs forces. Le mystérieux animal prend la fuite, mais dans cette nuit d’encre les plus effrayés c’est bien eux.

Mais voilà qu'une lumière surgit par derrière. Une torche éclaire un homme au regard vif mais non agressif. Qui est-il? Que leur veut-il? Comment cela va-t-il se terminer? Peu importe, pour le moment, il faut se sortir de ces bois hostiles. Alors quand l'homme, sans mot dire, leur fait un signe de la tête comme pour les inviter à le suivre, Jo et July, se serrant la main, s'engagent à sa suite.

L'étranger marche d'un pas rapide et les distance bien vite. La lueur de son flambeau apparaît et disparaît aux détours du chemin qu'il semble bien connaître. July a bien envie de lui crier de ralentir, mais elle craint que cela n'attire quelque danger. Elle entend la respiration de son frère qui devient de plus en plus saccadée. Elle sent qu'il est tout autant crispé qu'elle par cette expérience nocturne. Elle se dit que décidément cet homme va trop vite. Elle s'arrête net et retient son frère.

- Qu'est-ce que tu fais? On va le perdre!
- Fais-moi confiance.
- D'accord, mais tu n'a pas intérêt à te tromper.
- De toutes façons, il n'y a pas d'autre solution.

La lumière a disparu depuis quelques minutes lorsqu'elle revient. D'un nouveau signe de la tête, ils sont invités à se relever et à reprendre la marche. Cette fois, leur guide semble avoir compris. Il avance moins vite si bien qu'ils parviennent à ne plus se laisser distancer, pour finalement arriver, pendant que l'astre du jour pointe à l'horizon, sur une corniche adossée à une paroi rocheuse. En levant la tête, on dirait même qu'il y a une protubérance qui ressemble à un bec.

- Regarde, July, on y est. C'est sûrement ici. Tout est bien qui finit bien.
- Attends de voir la suite. On ne sait rien de cet homme et de ce qu'il nous réserve.
- Il n'a pas l'air dangereux.
- Tu n'as pas l'air intelligent non plus.
- Oh! ça va.
- Dangereux, je ne peux pas te dire, mais il lui manque une main. Et je ne mettrai pas la mienne au feu qu'il est inoffensif.
- Ne t'inquiète pas, je suis là avec toi.
- C'est justement cela qui n'est pas rassurant.
- Arrête, s'il te plaît, ce n'est pas le moment de se taquiner.
- Bon, mais sache que je me méfie de tout à partir de maintenant.

Après s'être lavé le visage, l'homme d'un âge plus avancé qu'il n'y paraissait dans la nuit, les appelle.

- Venez, j'ai préparé un repas pour vous.
- Pour nous? Comment saviez-vous que nous allions venir?
- Il est des choses que l'on ne peut expliquer. Il y a cinq jours que les fumées des cités détruites montent dans le ciel, et hier soir, une étoile a traversé le ciel d'est en ouest. Je savais que des étrangers allaient arriver. Ayant quelques appréhensions, je n'ai pas attendu le matin et je suis parti à votre rencontre au milieu de la nuit. Je dois vous avouer que je vous imaginais plus, comment dire, plus... enfin, moins...
- Petits, c'est ça?
- Non, mais moins différents des gens qui peuplent cette terre.
- En quoi, sommes-nous différents?
- Vos chaussures par exemple, mademoiselle. Je n'en ai jamais vu de pareilles, comme le bracelet que vous avez au poignet, jeune homme.
- Oh! c'est une montre. Elle donne l'heure.
- Je n'ai jamais vu une telle machine. Étonnant! Vous me dites qu'elle peut donner l'heure alors qu'elle peut tenir dans le creux de ma main. A-t-elle besoin du soleil pour séparer le jour?
- Non, juste d'une pile.
- Une pile?
- Oui, c'est une sorte de batterie miniature.
- Je ne vous suis pas. Que viennent faire les canons et la guerre dans le fonctionnement de ce curieux bracelet?
- C'est difficile à vous faire comprendre. Il n'est pas question d'artillerie, de bataille, mais d'un procédé scientifique, d'une technologie que vous ne connaissez sans doute pas.
- Bref, passons à autre chose, ce n'est pas pour cela que vous êtes arrivés jusqu'ici. Qu'avez-vous à me demander?
- Nous ne savons pas, c'est mon frère qui a rêvé et cela nous a entraîné jusqu'à votre maison.
- Si vous n'avez rien à me dire, je ne pourrai rien faire pour vous. Ne pouvez-vous donc pas m'éclairer un peu?
- C'est que j'ai reçu un parchemin par un vieil homme et il m'a dit de le porter à un prénommé Bèdia au rocher à tête d'aigle.
- Ah! nous y voilà. C'est donc vous qui avez été choisis pour cette mission.
- Choisis, comment cela choisis?
- Oui, que vous le veuillez ou non, sans le savoir, vous avez été mis à part pour mener à bien les pourparlers qui auront lieu en ce qui concerne la subsistance de ce monde.
- Je ne connais rien à votre monde, comment pourrais-je le représenter?
- Justement, vous ne serez pas accusé de prendre parti pour l'un ou l'autre clan. Vous apprendrez en chemin ce qu'il y aura lieu de faire.
- Il ira tout seul alors, je n'ai pas demandé à être ici. Je n'ai pas été choisie, c'est son aventure, sa mission. Moi, mon chemin s'arrête à cette nuit, à ce jour... enfin, je ne sais plus.
- Non, jeune fille, que vous le veuillez ou non, vous aussi vous êtes engagée dans ce périple. Vous êtes venue avec votre frère et il ne pourra repartir qu'avec vous.
- Ce n'est pas possible, je rêve!
- Peut-être, mais c'est ce que vous vivez et ce qui vous est demandé en ces instants. Donnez-moi ce rouleau, il ne vous est plus utile pour le moment.
- Pouvez-vous nous en dire plus sur sa signification?
- Non, cela ne vous aiderait pas. Il vous a juste été donné, jeune homme, pour s'assurer que vous seriez le messager. L'avenir ne nous appartient pas. Il ne sera que ce nous en ferons tous. -Maintenant dites-moi votre nom et je vous dirai le mien.
- Joachim.
- Julie-Anne.
- Enchanté de vous connaître, jeunes gens. Je suis, comme vous l'avez deviné, Bèdia ancien maître-fauconnier du seigneur rouge.
- Tu vois, July, je te l'avais dit. J'ai bien fait de nous faire lire cet article.
- Oui, ça va, tu avais raison, et alors?
- Alors? Je pense qu'on est capable de continuer.
- Ne vous avancez pas trop vite, Joachim, le seigneur rouge est puissant et déterminé à vous faire échouer. Il a des yeux partout et ses nombreux espions ne manqueront pas de tenter de vous arrêter à tout prix.
- Qui est donc ce seigneur rouge qui veut faire du tort à mon frère?
- Un homme qui a mal tourné. Un homme que j'ai connu bon et que j'ai servi de tout mon cœur, mais qui s'est laissé emporter par les richesses et les honneurs. Tant qu'il a été petit à ses yeux, il gouverna avec droiture et sagesse, mais lorsque l'orgueil et des mauvais conseillers l'ont élevé au-dessus du commun des mortel, il s'est égaré et est devenu le seigneur rouge.
- Pourquoi rouge, maître Bèdia?
- Parce que lors d'un siège, contre une ville fortifiée, fou de rage qu'elle lui résistait depuis deux mois, il a fait alliance avec des mercenaires sans foi ni loi, il a menti en proposant la paix à la cité moyennant un tribut, il a empoisonné quelques-uns de ses officiers fidèles qui n'auraient pas accepté tant de bassesses, et, finalement, il a exterminé toute la population, femmes, enfants, vieillards, tous y ont passé, même la princesse, fille du seigneur encerclé, qui lui avait été promise dans le cadre de l'alliance signée et scellée la veille. Quelle infamie! Il ne peut plus s'agir du même roi que j'ai connu. Depuis cette folie sans nom, durant laquelle il est dit qu'il a même teint son étendard dans le sang de la princesse, il ne porte, pour beaucoup, plus que le nom de seigneur rouge.
- Que pouvons-nous, mon frère et moi, contre un tel homme? Nous n'avons pas d'armée avec nous?
- C'est là justement votre force. En confrontation directe, vous n'auriez aucune chance, mais avec ce qui est à votre disposition, il y aura moyen d'empêcher que le chaos ne règne en tous lieux. - Toutefois, je dois vous dire que vous n'êtes pas assez nombreux. Il vous manque au moins un compagnon de voyage. N'avez-vous pas d'autres frères ou sœurs?
- Si, je suis entouré de filles dans la famille. Il y a encore Justine et Jeannelle, mais elles sont trop jeunes.
- Quels âges ont-elles?
- Dix ans et bientôt quatre pour la dernière.
- Justine pourra très bien vous accompagner.
- Non! Je ne me charge pas d'elle. On voit que vous ne la connaissez pas.
- Cela suffit, Joachim, tu exagères. Si tu crois que tu es facile, alors va demander à papa et à maman ce qu'il en pense. Parfois, c'est plutôt toi qui charge tout le monde. Si maître Bèdia dit qu'elle nous sera utile et qu'elle doit venir avec nous, alors c'est qu'il doit en être ainsi.
- Tiens! Tu veux y aller maintenant. Je croyais que tu voulais tout laisser tomber, rentrer, retrouver ton lit douillet et ta vie sans surprise.
- J'ai changé d'avis, voilà! Si on a besoin de nous, si on peut aider un peu, je veux bien essayer. Mais ne crois pas que c'est pour toi que je le fais!
- Ah! la jeunesse, vous me rappelez bien des choses. Passez la journée ici, reposez-vous un peu, dormez, vous en avez besoin, et ce soir vous repartirez avec votre sœur Justine en direction des marais et des arbres tours. Pour l'instant, ne vous posez pas trop de questions, profitez de mon hospitalité et je vous en dirai plus à tous les trois lorsque le crépuscule vous réunira.

Éreintés, Joachim et Julie-Anne, après voir mangé et admiré la montagne et ses environs, s'endorment pour se réveiller chacun dans leur chambre. Après une nouvelle journée d'école, à table en famille, July donne un léger coup de coude à son frère.

- J'ai une griffe sur la cheville.
- Et alors?
- Tu ne te souviens pas? Dans la forêt quand je me suis accrochée à un buisson...
- Tu es fière? C'est comme une blessure de guerre pour toi? Tu crois que cela fait de toi une grande aventurière?
- N'empêche que tu n'en menais pas large pendant la nuit.
- Qu'est-ce que tu vas t'imaginer?
- La vérité, c'est tout!
- Oui, pense ce que tu veux, mais moi je te dis que je n'avais pas peur.
- Peur de quoi, peur de quoi, Joachim?
- De rien, Juju.
- Si, dis-moi!
- Non, laisse-moi tranquille, c'est pas de ton âge.
- C'est pas juste. C'est toujours la même chose. Tu ne veux jamais rien me dire.
- Les enfants ne vous disputez pas, s'il vous plaît. On est à table et j'aimerai bien que cela ne devienne pas une habitude de se chamailler quand on mange. Justine, pourquoi boudes-tu?
- Pour rien, maman.
- Tu es sûre?
- Oui!
- Bon, si tout va si bien, souris et terminons ce repas sans tirer la tête.
- Ne t'en fais pas, Juju. Je te dirai de quoi il s'agit. N'en déplaise à Monsieur Joachim!
- Na! vilain frère!
- C'est çà, et moi je dis que ce n'est pas la peine de continuer dans ces conditions.

Suite de l'aventure la semaine prochaine...

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