Le trébuchet du seigneur rouge. Chapitre2

Le trébuchet du seigneur rouge. Chapitre2
Chapitre 2

- Eh bien! Quand tu fais les choses, tu ne les fais pas à moitié. Pour de l'aventure, c'est de l'aventure! Qu'est-ce que tu veux que je te dise?
- Et ce parchemin, alors?
- Il y a forcément une explication.
- Tu crois que je suis du genre somnambule et que j'aurais écrit cette phrase sans m'en rendre compte?
- Possible...
- Non! Ce n'est pas mon écriture. Regarde!
- Oui, tu as raison. C'est peut-être quelqu'un qui te fait une blague et qui est venu te mettre cette preuve dans la main pendant que tu dormais?
- Comment aurait-il pu savoir ce qu'il y avait dans mon rêve?
- Oh, tu sais, cette énigme n'est pas spécialement précise. Elle pourrait très bien convenir à beaucoup d'histoires. D'ailleurs, à part le fait qu'il y est question de villes, elle ne correspond pas forcément à ce que tu m'as raconté. Et puis, il suffit de te connaître un peu, de savoir quel genre de livres tu lis pour avoir une idée de ce qui te passe par la tête.
- Si je comprends bien c'est toi qui est responsable de ce sale coup!
- Qu'est-ce que tu vas t'imaginer encore!
- Oui, c'est ça, tu ne supportes pas que je sois tranquille, alors, pour t'amuser, tu cherches à me déstabiliser.
- Non, je ne ferais jamais cela. C'est vrai que j'aime de temps en temps te taquiner mais pas de cette manière. Tu dois me croire!
- C'est Justine, alors?
- Arrête un peu! Là, tu exagères. D'abord, elle est un peu jeune pour monter un tel plan. De plus, ce n'est pas son style de faire les choses par derrière. Tu sais bien qu'elle aime l'affrontement direct, les choses claires et nettes. Et puis, si tu n'es pas encore convaincu, tu n'as qu'à vérifier mon écriture et la sienne. Tu verras bien que cela ne peut pas venir de la famille.

Au soir, Joachim revient à la charge.

- Un détail m'est revenu, j'ai vu accrochée au mur dans une salle de la cité, une tapisserie d'une bataille où le soleil était rouge, et ce soir, regarde par la fenêtre, il est rouge. Tu crois que c'est un signe?
- Hfff! Je pense que tu vois des signes partout.
- N'empêche que je sais ce que j'ai rêvé.
- Oui, c'est bien cela le problème, tu as rêvé, rien de plus!
- Si tu le prends ainsi, je ne te dirai pas qu'il y avait une ville qui semblait en or.
- Non, ne me le dis pas, cela ne m'intéresse pas.
- Et tu ne sauras pas qu'il y avait aussi un grand mur qui bloquait une vallée avec un oiseau noir au-dessus.
- Tu vas continuer longtemps comme cela?
- Non, je m'arrête et je te laisse à ta petite vie bien tranquille.
- Tu sais ce qu'elle te dit ma vie?
- Pas besoin, elle ne doit pas avoir grand chose à dire.
- C'est çà, en tous cas, elle est moins alambiquée que la tienne.
- Mademoiselle va encore distiller son venin.
- Non, mais ne m'y pousse pas de trop.

Sur cette parole, les deux adolescents s'en retournent chacun à leurs préoccupations.

Le lendemain, Julie-Anne se lève de mauvais pied. Elle poursuit de mauvais poil. Toute la matinée, elle est distante avec ses copines et elle touche à peine à ses sandwichs. Elle s'apprête à tout remettre dans son sac quand une araignée monte sur sa main. Dégoûtée, elle fait un mouvement brusque, la jette par terre et l'écrase d'un coup rageur avec son talon.
Treize heures trente, premier cours de l'après-midi, latin, interrogation même. July a bien préparé ses déclinaisons. Le professeur entre avec un large sourire. Son équipe favorite de football a dû probablement gagner la veille. Il est toujours de très bonne humeur lorsque cela arrive.
  • Bonjour, aujourd'hui, je sais que j'avais prévu un contrôle, mais j'ai décidé de vous faire une fleur, nous allons faire tout autre chose.
  • Oh non! s'exclama Julie-Anne.
  • Il y a quelque chose qui ne va pas Julie-Anne?
  • Non, non, Monsieur Durieu, tout va bien!
  • J'en suis content. Eh bien, dans le cadre de la culture antique, je vais vous raconter une légende issue de la mythologie grecque, celle d’Arachné. C'était une jeune fille qui brodait merveilleusement bien et qui en était très fière. Elle était très orgueilleuse, tellement orgueilleuse qu’elle mit un jour la déesse Athéna au défi de faire mieux qu’elle. Elle eut même l’insolence de faire une broderie dans laquelle elle se moqua des dieux et de leurs mauvaises actions. Et même si l’ouvrage était très bien fait, Athéna se mit en colère et le détruisit avant de frapper Arachné qui se pendit après cela. La déesse décida alors de transformer la morte en araignée. Est-ce par ce qu’elle regrettait la mort de cette fille qui avait beaucoup de talent? En la faisant devenir une araignée, elle montrait qu’elle reconnaissait son art, car ces animaux nous émerveillent par leur capacité à tisser de magnifiques toiles. Est-ce pour la punir et apprendre aux hommes à ne pas se moquer de leurs supérieurs, des plus puissants qu’eux? L’araignée reste pendue à un fil, la tête en bas pour l’épeire diadème que tu vois. Personnellement, j’ai une troisième manière de voir les choses. La plupart des gens, enfin pas tous mais beaucoup, trouvent que les araignées sont laides et répugnantes alors qu'elles sont simplement différentes, avec d'ailleurs des capacités étonnantes. Or, c’est un défaut humain que de regarder à l’apparence et non au cœur. Arachné était probablement une belle jeune fille talentueuse, cependant, son cœur n'était peut-être pas aussi joli. Quant à Athéna, sa jalousie, sa colère, l’ont poussée à transformer sa rivale en cette image que l'on se fait d'un être repoussant. C’est en quelque sorte sa propre laideur qu’elle voit dès lors dans celle qu’elle a métamorphosée, même si elle ne s’en rend pas compte. Tout cela pour vous dire que finalement les araignées ne sont ni affreuses, ni insignifiantes, ni inutiles. Que l’on y voit souvent en elles que ce qui est en nous.
Monsieur Durieu poursuit par quelques autres aspects de la mythologie que les romains ont empruntée aux grecques, mais Julie-Anne et d'autres élèves sont conscients qu'il a voulu leur lancer une petite pique. Il est, en effet, bien connu dans la classe, qu'il y a une fille qui fait office de souffre-douleur parce que notamment, elle n'est pas aussi bien habillée et qu'elle porte de gros verres sur une vieille monture. Ainsi, c'est avec un soulagement non feint que Julie-Anne accueille la sonnerie qui marque la fin du cours. Elle n'a pas apprécié ce discours un brin accusateur. C'est bien dans le style de Monsieur Durieu de faire de telles remarques. Décidément, quelle journée pourrie! Émilie qui se moque de son nouveau pantalon, Hugues qui ne la regarde même pas, et pour couronner le tout, son frère qui la saoule de ses divagations quand elle rentre à la maison.

- Laisse-moi tranquille, je te dis que je suis fatiguée!
- Oui, mais juste une dernière question, dans la tapisserie dont je t'ai parlé, il y avait aussi une étrange araignée avec une couronne brodée dans le coin supérieur droit.
- Tu ne va pas aussi revenir avec les araignées!
- Qu'est-ce que tu veux dire?
- Rien, j'en ai marre. Je veux être seule.
- Bon! Je te laisse.
- C'est ça laisse-moi.

Au fil des heures qui suivent, July se calme et finit par s'endormir après avoir lu quelques mangas. Elle s'enfonce alors dans un nouveau rêve où elle a devant elle un beau château suspendu à l’envers sur une gigantesque toile d’araignée. Tout à coup, elle entend des trompettes et des araignées revêtues d’armures ornées d’une croix blanche qui descendent le long de leur filin et le remontent vers la grande porte qui s’ouvre sur l’intérieur du château. A travers la cour, des salles, des escaliers et des couloirs, elle est menée vers un grand trône où siège une jeune femme, et non une araignée. Sa couronne est faite de plein d’épeires qui s’accrochent les unes aux autres. En signe de bienvenue, on lui met autour du cou une guirlande d’épeires vivantes. Elle ne sait pas si elle doit avoir peur, mais elle se sent étrangement en sécurité et s’apprête à parler lorsque la reine se lève.
  • Jeune humaine, sais-tu pourquoi es-tu ici?
  • Non, mais où suis-je, et qui êtes-vous ?
  • Je suis Lydia, la reine du pays d’Arachnie, et je t’ai fait venir ici parce que tu as tué une de mes servantes.
  • Moi…
  • Inutile de le nier. Regarde!

A cet instant une petite porte à sa droite s’ouvre et une araignée écrasée est amenée sur un morceau de bois.

Vois, ce que tu as fait!
  • Que dirais-tu si nous te faisions la même chose?
  • C’est que… je ne savais pas.
  • Qu’est-ce que tu ne savais pas? Qu’elle n’allait pas mourir?
  • Si, mais…
  • Il n’y a pas de mais. Tu es coupable comme tous les autres qui détruisent nos toiles, que nous devons reconstruire chaque jour, et écrasent notre peuple sans voir que les épeires sont de merveilleuses architectes qui filent pour le bien des humains. Pour ta punition, tu devras jouer avec mes filles. Viens avec moi.

" Ouf! se dit-elle, cela aurait pu être bien pire." C’est donc avec un sourire et une confiance retrouvée qu’elle suit la Reine vers une pièce d’où elle entend des rires. Cependant lorsqu’elle s’introduit dans cette immense salle de jeux, elle découvre, les yeux tout écarquillés, des centaines de petites filles qui accourent vers elle les mains tendues comme vers un nouveau jouet.

Le rêve devient effrayant lorsqu’elle revient dans sa chambre où sa maman vient de s’introduire pour la réveiller. D'emblée, elle lui raconte ce qu’elle vient de rêver et la journée qui a précédé.
  • Ah! ma chérie. Quand on a de l'imagination, il arrive que les choses que l’on entend et celles que l’on voit de la journée reviennent la nuit pour se mélanger et se transformer en d’étranges histoires.
Allez, halte aux idées noires, ce n'est qu'une nuit agitée, je ne vais quand même pas devenir comme mon frère, se dit-elle, le poing fermé et l'autre main tendue vers la poignée de porte. Je ferme mon esprit à toutes ces pensées et je démarre la journée comme celle d'hier aurait dû l'être.

Julie-Anne rit beaucoup ce matin. Elle s'éclate au cours de gymnastique et, sur le retour, de l'école, repasse avec Émilie s'acheter quelques babioles. Les leçons apprises et hop devant la télé avec, peut-être un coup de fil à Katya pour une sortie samedi après-midi. Encore un manga et c'est la glissade sous l'édredon pour un doux sommeil.

Mais voilà qu'au matin, elle se réveille en sueur. Avant que maman ne les appelle, elle se rend précipitamment dans la chambre de son frère et lui raconte ce qu'elle a rêvé.
Au début, j'étais dans un lieu étrange, presque désert. Le sol était mou, tellement mou que je devais prendre garde à ne pas s’enfoncer. Tout à coup, en levant les yeux, il y avait au loin trois portes, l’une semblait d’or, l’autre était emmurée et la troisième était en bois. Il y avait aussi un arbre et j'ai commencé à y grimper pour voir plus distinctement. La première porte scintillait d’autant plus qu’elle était incrustée de pierres précieuses et qu’elle arborait de riches armoiries en son centre. La seconde paraissait définitivement fermée. Quant à la troisième, elle n’attirait pas les regards comme celle qui était en or. En fait, elle était tout son contraire, petite et simple. Tout à coup, une voix m’appela d’en bas. Un animal étrange s’offrait à ma vue. Il avait des ailes, mais manifestement trop petites pour voler, ses yeux étaient tellement enfoncés dans ses orbites qu’il n’y avait pas moyen de savoir ce qu’il regardait, et ses pattes se terminaient par de longues griffes qui le maintenaient en équilibre sur ce sol mouvant.
  • Toi qui es là haut, veux-tu me cueillir ce fruit?
  • Lequel? Cet arbre n’en a pas.
  • Si, regarde sur ta gauche.
  • Tiens, je ne l’avais pas vu en montant.
  • Tu n’y as sans doute pas fait attention.
  • Pourtant…
  • Ce n’est pas grave, j’ai besoin de ce fruit. Il te suffit de tendre la main et tu me rendras un grand service.
  • C’est que la branche risque de se casser sous mon poids.
  • Non, il n’y a pas de danger, de plus grandes et plus lourdes que toi m’ont déjà rendu ce service dans le passé.
  • En es-tu certain?
  • Puisque je te le dis!
  • Bon, je veux bien essayer de te faire plaisir.
Je m'avançai et à mesure que je m'approchai du fruit, il semblait s’éloigner, de telle sorte que je m'engageai toujours plus avant sur cette frêle branche. A un moment, je calai mon pied pour prendre appui et je tendis au maximum mon corps quand, brusquement, la branche se cassa. Je m'écrasai sur le sol, mais celui-ci, comme il était très mou, m’avala rapidement. Je compris immédiatement que j'allai être engloutie par une énorme masse vivante. J'étouffai. Je paniquai, et je finis par crier.
  • Aide-moi, je t’en supplie! Qu’as-tu à me regarder ainsi?
  • Je ne veux pas.
  • Comment cela, tu ne veux pas? C’est à cause de toi que je suis tombée!
  • Oui, c’est à cause de moi.
  • Aide-moi, alors!
  • Non.

Le sol avait refermé sa gueule sur ma tête lorsqu’une main gantée saisit la mienne. C'est là que je me réveillai.

- J'en tremble encore tellement cela paraissait vrai!
- Alors, tu me crois maintenant, quand je te dis que les rêves cela peut être un pan de la réalité?
- Oui, enfin, je ne sais pas. Je ne sais plus où j'en suis. Toi, et toutes tes histoires, tu m'as embrouillé la tête.
- Ce n'est pas moi. La preuve, la porte d'or que tu as vue.
- Tu m'as parlé d'une ville d'or.
- Oui, mais avec une grande porte pour y entrer.
- Et l'animal avec des ailes comme l'oiseau noir dans la tapisserie?
- Écoute, je ne sais pas.
- Si! crois-moi, cela fait partie de la même histoire. Tu dois venir avec moi!
- Comment?
- Écoute! J'ai réfléchi, et je pense que l'on devrait lire ce soir un texte que j'ai trouvé et qui parle de la fauconnerie au moyen-âge.
- Tu m'as parlé d'un rocher en forme d'aigle et ce n'était pas un faucon dans mon rêve. Je ne peux même pas te dire de quoi il s'agissait tellement cette bête ne ressemblait à rien de connu.
- Oui, mais tout n'est aussi facile que çà, c'est peut-être une piste à suivre.

Suite de l'aventure la semaine prochaine...

Vous avez aimé ? Partagez autour de vous !


Ce texte est la propriété du TopChrétien. Autorisation de diffusion autorisée en précisant la source. © 2022 - www.topchretien.com
3 commentaires