Le trébuchet du seigneur rouge.Chapitre8

Le trébuchet du seigneur rouge.Chapitre8
  • Prisonnière, prisonnière! Tu m'entends!
  • Je sais July, tout ne se passe pas comme prévu.
  • Qu'est-ce que tu racontes, Joachim! Il n'y a rien de prévu. On nage en plein délire. Et quand je dis prisonnière, je ne parle pas des cages, mais de cette histoire de fous, de ces nuits de sommeil qui n'en sont pas. Il est temps que cela s'arrête, plus que temps!
  • Oh! non, July, moi, j'aimerais bien connaître la suite, savoir ce qu'il y a dans le livre, découvrir qui est ce géant, voir où on va nous emmener.
  • Puis, quoi encore? Après les cages, l'esclavage ou pire la mort. Et moi, la mort, même en rêve, je n'en veux pas Juju. Tu comprends! Je n'en veux pas!
  • On ne va pas abandonner maintenant, on est si proche.
  • Proche de quoi, Jo, de la folie peut-être?
  • Tu as raison quand tu dis que je ne sais pas ce qui va se passer, mais, je t'en supplie, accorde-nous une dernière journée dans ce monde, juste une dernière fois et après tu feras ce que tu veux.
  • Non! C'est terminé, j'en ai plus qu'assez!
  • Tu veux que je me mette à genoux?
  • Même pas!
  • Oh! July, fais-le pour moi alors.
  • Juju, ce n'est pas la peine d'insister, je ne reviendrai pas sur ma décision.
  • S'il te plaît!
  • Non.
  • S'il te plaît!
  • Je t'ai dis, non!
  • S'il te plaît!
  • Tu es sourde ou quoi!
  • S'il te plaît!
  • Juju, je vais me mettre en colère.
  • S'il te plaît.
  • Tu dépasses les bornes.
  • S'il te plaît.
  • Si tu n'arrêtes pas, je vais devenir folle.
  • Mais tu l'es déjà ou quasiment avec cette aventure, comme tu l'as dis.
  • Jo, tu te tais!
  • S'il te plaît.
  • Tu vas continuer longtemps comme ça.
  • Oui, et je reprendrai dès le retour de l'école jusqu'à ce que tu acceptes.
  • Si tu fais ça, je dirai à maman ou à papa que tu n'arrêtes pas de m'ennuyer.
  • Moi, je leur dirai tout alors, na!
  • Quoi, tout?
  • Notre aventure.
  • Ils ne te croiront pas.
  • Peut-être, mais je leur dirai quand même.
  • Qu'est-ce que tu veux que cela me fasse?
  • Je leur dirai!
  • Oui et alors?
  • Je leur dirai!
  • Tu ne vas pas recommencer!
  • Je leur dirai!
  • Justine! Tu vas beaucoup trop loin.
  • Je leur dirai.
  • Bon, tu ne me laisseras pas tranquille tant que je n'accepterai pas.
  • Oui.
  • Une dernière fois et on n'en parle plus. Une toute dernière fois, c'est bien compris!
  • Oui.
  • On est bien d'accord.
  • Oui.
  • Tu vas arrêter de dire autre chose que oui.
  • Oui.
  • Rrrh! Je vais t'étrangler.
  • Non.
  • Super, les filles! On est reparti pour un tour.
  • Un dernier tour, je vous l'assure, un dernier, un ultime tour.
  • July.
  • Quoi encore, Juju?
  • Merci! Merci beaucoup!

La journée s'écoule et accueille la nuit tombante quand, dans leur chambre, ils se préparent mentalement, chacun à sa manière, à la suite des évènements. Les paupières enfin closes pour Joachim et Justine. Ils partent tous les trois pour de nouvelles péripéties... tous les trois? Non, ils sont quatre cette fois. La petite Jeannelle se retrouve embarquée et prisonnière avec ses deux sœurs.
  •  
  • Qu'est-ce qu'elle fait ici! Juju, qu'est-ce que tu as encore fait!
  • C'est que... tu vois... j'ai... enfin... tu comprends... j'ai pensé... j'ai cru... bien faire...
  • Tu ne fais rien de bien! Cela ne suffisait pas d'être dans cette galère, il a fallu que tu nous mettes sur les bras notre petite sœur. On n'avait pas assez d'ennuis comme ça.
  • Je lui ai parlé un peu de notre histoire avant qu'elle s'endorme.
  • Tu crois qu'elle a compris, sans doute?
  • Non, mais elle nous sera peut-être utile?
  • En quoi, tu peux me le dire?
  • De toutes façons, elle est là maintenant.

Serrées l'une contre l'autre dans la cage, elles finissent par admirer, au détour d'un virage, une magnifique cité qui s'étend dans une vaste pleine avec les Monts chauves pour toile de fond. La contrée est si florissante que même July-Anne est sous le charme. Des ruisseaux dévalent les flancs de quelques collines à leur droite pour se jeter dans un grand fleuve auprès duquel est bâtie une cité comme ils n'en ont jamais vu. A son approche, le convoi se divise en trois. Les filles sont dirigées vers une porte en bois, tandis que leur frère est introduit dans la ville par une porte dorée, et le géant est, quant à lui, emmené vers une tour où l'on distingue une ancienne porte, aujourd'hui emmurée.

Joachim est reçu comme un prince. Après des excuses pour une prétendue méprise lors de son arrestation, il est entouré de toutes parts, accueilli avec tous les honneurs que l'on peut rendre à quelque noble personnage. D'émerveillements en émerveillements, il en oublie presque ses sœurs. Bien installé dans une magnifique et luxueuse chambre, armé d'une splendide épée dont il est si fier, il contemple la cité avec ses nombreux jardins suspendus et se met à rêver de grandeurs et de richesses.

Pendant ce temps, July-Anne et ses deux sœurs découvrent leur nouvel environnement. Un vaste bâtiment abritant travailleurs à la chaîne, gardiens et machines de guerres telles que catapultes et autres trébuchets. Il a fallu détruire bien des forêts pour avoir tant de bois. Il faut aliéner bien des vies pour construire tant d'instruments de terreur. Il faut tant de méchancetés et d'ambitions pour conquérir après avoir déboisé et dévasté.

La petite Jeannelle, malgré ses cris et les larmes de ses sœurs, est mise, en raison de son âge, à la corvée d'eau. Elle doit, avec sa petite outre, courir vers les hommes, les femmes, les enfants qui l'appellent en levant le bras pour quelque peu se désaltérer.

Justine pleure aussi. Elle est vexée de s'être déjà fait violemment reprendre par deux fois parce qu'elle ne porte pas assez de cordages à chaque trajet.

July-Anne regarde ses mains abîmées par les poutres à transporter avec d'autres jeunes filles qui semblent complètement éteintes. Elle fixe ses mains, ne voit plus rien et commence une prière, comme elle en faisait quand elle était petite, quand elle allait à l'école du dimanche. Ce temps est si loin, son esprit est si désemparé, son cœur est si lourd, son corps est si las.

Le soir venu, Joachim se promène dans les jardins embaumés de mil senteurs. Il se fabrique un avenir glorieux. Il échafaude un destin à faire pâlir tout un peuple. Il compte tout l'or et l'argent qu'il engrangera. Il s'enivre des parfums de la vanité...mais aussi de celui de l'oubli. Il gonfle son torse de contentement lorsqu'un garde vient lui dire qu'il est convié à un grand banquet que le roi à fait préparer en son honneur.

La grande salle est remplie de tout ce que peut compter le royaume de personnes influents et riches. Pourtant c'est lui qui est invité à s'asseoir à la droite du puissant monarque. Ses manières sont si élégantes. Il est si généreux dans ses paroles et ses actes – ne vient-il pas de donner un coffret de pierres précieuses à un de ses vassaux – que l'on a sûrement exagéré les propos désagréables envers sa personne. Bèdia ne doit probablement être qu'un ingrat, voire pire, un jaloux, un comploteur, peut-être même un simple serviteur qui s'est enfui après avoir volé ou trahi son roi. Tiens, là, dans la troupe de musicien, il y a le même genre d'instrument de musique qu'il a vu chez cet homme qui se disait ancien officier ou encore maître-fauconnier. Oui, un vulgaire et obscur musicien qui a commis quelque acte répréhensible, c'est probablement ce qu'il est tout au plus. Tout ce qu'il a prétendu au sujet du seigneur rouge n'est sûrement que mensonges et calomnies.

Tout est beau, tout est bon, tout est plaisir des sens. Quelle soirée fabuleuse! Et, sommet de l'enchantement, il est adoubé, à la face de tous, chevalier de l'ordre des faucons. Voilà donc la raison du précieux cadeau de son épée.
  • Oyez! Oyez! Gens de la cité impériale et de tous les confins de l'empire du grand Seigneur. En l'honneur du preux chevalier Joachim, nous allons jouer au jeu de la vérité, selon le bon plaisir de l'Empereur. Mettez-vous en place et que l'on apporte le trébuchet royal!
Un trébuchet? Dans cette salle de festin? Étrange? Enfin, tout est possible, la porte d'ailleurs est assez haute et large pour faire entrer un tel engin de guerre.

Alors que le fol chevalier Joachim se perd en suppositions, un serviteur apporte au roi un coffre recouvert d'un tissu de brocart. Que peut-il donc bien contenir?

Le voile levé, le couvercle levé, une balance en est sortie et placée sur un socle que l'on place à portée de main du trône d'où le roi prend parole.
  • Écoutez tous. Par égard à notre hôte et nouveau chevalier de ma garde rapprochée, je vais lui indiquer les règles de ce jeu que vous connaissez. Je ne veux rien entendre, pas même un toussotement, pendant mes explications. Vous ne prendrez d'ailleurs la parole par la suite que si je vous y invite. Que cela soit dit! Que cela soit fait! Chevalier Joachim tu es là devant le trébuchet qui me permet de juger de la loyauté de mes sujets. Si tu réponds honnêtement, sans détour et justement à mes questions, je te récompenserai. Si, par contre, tu ne me dis pas toute la vérité, tu me mens ou réponds quoi que ce soit d'inexact, je te châtierai tout aussi sûrement. J'ai, dans ma main, cinq doigts d'or. A chacune de mes questions, tu répondras rapidement. Si ta réponse me convient, je mettrai un doigt dans ce plateau de la balance, ce qui t'apportera un titre, une terre, un château ou tout autre bien. Dans le cas contraire, je mettrai un de tes doigts dans l'autre plateau. La fin du jeu montrera ainsi de quel côté le trébuchet penchera. Je saurai alors si je peux te faire confiance.
  • Mais grand Seigneur...
  • Silence! N'ai-je pas ordonné de ne parler que sur mon invitation! Encore une telle effronterie et ce ne sont pas tes doigts qui seront coupés. Voilà ma première question. Aimerais-tu me servir dans toutes mes conquêtes sur terre et par-delà les mers, à mes côtés dans les plaisirs et la rage de vaincre?
  • Oui, ô mon Roi!
  • Tu as bien répondu. Je pose ce doigt d'or et je te nomme Maître de l'escadron des plumes d'or avec autorité sur mes plus braves guerriers. Grand chambellan Blaste! Faites inscrire cela dans le livre du roi. Que cela soit dit! Que cela soit fait! Deuxième question... Y a-t-il dans mon empire une personne qui a plus d'importance à tes yeux que moi?
  • Non, il n'y a personne.
  • Bien, voyons maintenant si tu dis vrai. Faites entrer les prisonnières.

A cet instant, avec effroi, Joachim voit une escorte amener ses sœurs. Elles sont sales, fatiguées. Si petites au milieu de la salle et terrorisées de tout ce qu'elles ont vécu durant la journée, elles fixent du regard leur frère bien droit à côté du roi et en belle tenue. Cette prestance, cette assurance, ne sont que de façade. Son cœur bat de plus en plus vite. Il ne sait quoi craindre et dire pour apaiser celui qui se dévoile être très cruel.
  • Chevalier Joachim, ces jeunes filles ont parlé en mal de moi et doivent être sévèrement punies. Tu choisiras donc leur châtiment. Tu as la possibilité entre trente coups de fouet à chacune ou deux jours dans un cachot.
  • Deux jours au cachot, mon Seigneur.
  • Ce que je ne t'ai pas dit, c'est que cette geôle est infestée de rats mais aussi d'autres condamnés très malades et certainement contagieux.
  • Non, pas cela!
  • Le fouet alors?
  • Non plus!
  • Soit, c'est donc toi qui sera châtié.

D'un signe de la main, le seigneur rouge commande à deux de ses soldats de s'emparer du jeune homme tandis qu'un troisième lui coupe le petit doigt. Joachim hurle, ses sœurs hurlent aussi plus qu'elles ne pleurent. L'assistance reste silencieuse pendant que la face du roi se fend d'un grand sourire machiavélique.
  • Assez! Assez! Si vous ne vous taisez pas, je ferai couper un autre doigt directement. Voici ma troisième question. Êtes-vous des espions à la solde des roitelets d'outre-mer qui complotent contre moi?
  • Non, pas du tout!
  • Tu mens, j'en suis sûr. Pour cela tu vas perdre un autre doigt...
  • Mon frère ne ment pas!
  • Comment oses-tu m'interrompre? Sais-tu que je peux t'ôter la tête tout aussi facilement. D'un simple geste je peux t'envoyer dans l'au-delà. Comment t'appelles-tu? On pourra ainsi entendre une dernière fois ton nom avant ta mort.
  • Je m'appelle July-Anne et je peux vous dire qu'avec mon frère et mes sœurs nous ne sommes pas des espions. Nous ne connaissons pas ces personnes qui voudraient vous renverser de votre trône, ni les régions où ils habitent.
  • Vous mentez! Vous mentez tous! Par-delà les mers du Nord et celles de l'Est viennent les traîtres. Vous périrez avant eux!
  • Grand roi, je suis Justine et je peux peut-être vous aider.
  • Comment?
  • J'ai vu un livre qui doit contenir des renseignements sur ces régions.
  • Où cela?
  • Il est entre les mains du géant qui a été arrêté et conduit à la ville en même temps que nous.
  • Grand chambellan Blaste, où est donc ce géant? Comment se fait-il que l'on ne m'ait pas informé de sa présence dans la cité.
  • Ô grand Seigneur du royaume et de toute la terre, je n'ai pas pensé qu'il faille vous importuner avec cela. Le considérant comme un être insignifiant, mais pouvant intriguer le peuple par sa taille et son allure, je l'ai fait enfermer dans la tour carrée. Celle dont on brise l'entrée que l'on emmure à nouveau par la suite pour que ceux qui y sont abandonnés périssent et tombent dans l'oubli.
  • Et le livre? Où est-il?
  • Je ne sais de quel livre il s'agit. La fille ment certainement pour sauver sa vie et celles des siens.
  • Je dis la vérité! Il avait bien un livre serré contre lui. Il l'a peut-être caché dans sa chemise. Faites-le venir et on verra que j'ai raison!
  • Soit, jeune fille, si tu dis vrai, je ne vous ferai pas trop souffrir, mais, si tu me trompes, ma colère s'embrasera et vous le regretterez amèrement. Qu'on m'amène ce géant et son livre immédiatement. Que cela soit dit! Que cela soit fait!
Pendant ces moments de brefs répits, Joachim souffre de voir sa main amputée d'un doigt, mais aussi de sa folie, des conséquences de son orgueil et de sa soif de vanités mensongères. Ses sœurs sont tétanisées dans l'attente et l'espoir d'un dénouement heureux qu'elle ont grand peine à envisager. Le seigneur rouge fait craquer ses doigts et sourit à l'idée d'une belle soirée où sa cruauté pourra un peu le rassasier. La salle est toujours aussi silencieuse. Au plus, entend-on les froissements des robes des dames de la cour.

Tout à coup, une voix de tonnerre éclate dans l'enceinte du palais. Le géant introduit de force, séparé de son précieux livre, crie et vocifère des menaces à tout va.
  • Qu'on le fasse taire!
Un gourdin fracasse la tête du forcené. Son corps massif s'écroule sur le sol tandis que son livre est apporté et ouvert au hasard devant le roi. Après avoir pris l'ouvrage dans ses mains et lu ce qui se présente à lui, la fureur du seigneur rouge explose et, dans un mouvement large, il ordonne.
  • Qu'on les enferme tous dans la tour carrée, le chevalier, les jeunes filles, le géant, le livre, le grand chambellan, et qu'il y meurent lentement tous! Qu'après soixante jours, on brûle cette tour et qu'on la rase pour y dresser un statue en or à mon effigie, une statue de soixante mètres. Que cela soit dit! Que cela soit fait!
Paralysés par la peur de répondre et traînés par la garde royale, les condamnés ne résistent pas et se voient emmurés, persuadés que leur sort tragique n'empêchera pas les citoyens de la cité de dormir. Personne ne leur viendra en aide. Tous ont terriblement peur de ce seigneur et de ses effroyables accès de colère. Adultes, adolescents et enfants, s'ils ne voient pas les larmes couler sur leurs joues, les sentent. Il n'y a presque plus d'espoir, plus de lumière... quand brusquement une lampe de poche les éclaire.
  • C'est Jeannelle! July, Jo, regardez! Elle a pris avec elle sa lampe de poche. Comme elle a, de temps en temps, peur du noir, elle dort parfois avec. Vous voyez, j'ai bien fait de la prendre avec nous!
  • Je ne trouve pas du tout, Juju. Quand on va se réveiller, on se dira qu'on a fait un cauchemar, on se raisonnera, mais elle sera terrifiée. Cela va la marquer. Qui dit qu'elle ne fera pas ensuite des cauchemars à répétition? Elle va encore plus avoir peur du noir.
  • Mais non, mais non. Cela n'arrivera pas.
  • Tu essaies de t'en convaincre pour ne pas reconnaître ton erreur.
  • Non, je pense que c'est à quatre que l'on pourra s'en sortir. Ce n'est pas parce qu'elle est petite qu'elle ne peut pas nous aider. La preuve, elle a emmené sa lampe de poche. Profitons-en pour voir ce livre. Il y a peut-être dedans la clé de toute cette aventure.
  • Arrête avec ce bouquin! Cherchons plutôt une sortie.
  • Il n'y en a pas. Nous allons tous mourir ici.
  • Pourquoi dites-vous cela, Monsieur?
  • J'étais le grand chambellan et je connais ce lieu. Personne ne peut en sortir vivant.
  • Il y a sûrement un moyen.
  • Je vous dis que non, jeune fille.
  • Ne l'écoute pas July-Anne, il ne peut pas nous aider. Je suis de l'avis de Justine. Il faut d'abord savoir ce qui dans ce livre a mis le seigneur rouge dans une telle colère.
  • Joachim, je sais que tu souffres, mais ce n'est pas ce livre qui va nous aider. L'idée de Justine ne peut qu'être aussi inutile que saugrenue.
  • Qu'en sais-tu? Après tout, je me suis trompé sur toute la ligne, on peut au moins essayer ce qu'elle propose. Donne-lui une chance d'avoir raison. Je t'en supplie. J'ai perdu un doigt. Qu'est-ce que tu as à perdre?
  • Bon, tu peux essayer si cela te chante, Justine. Mais après, on fera comme je dirai. C'est compris?
Justine s'avance pendant que le géant recule et se colle au mur. Elle tend la main en lui demandant de lui prêter son livre, mais elle ne reçoit qu'un grognement inquiétant qui est près de se transformer en une réaction violente quand la petite main de Jeannelle vient se poser sur le genoux de l'homme aux abois. La jeune enfant le regarde avec tendresse et lui dit:
  • S'il te plaît, donne-moi le livre. Je te le rendrai.
Attendri, désarçonné, mis en confiance, il lui tend brusquement son trésor.
  • Ouvre-le Jeannelle! Plus vite!
  • Jo, laisse-la, elle a tout son temps.
  • Non, July, j'étouffe ici. Il faut trouver rapidement la bonne page.
  • Oh! le méchant. Il nous a trompé!
  • Qui ça, Juju?
  • Le petit homme, Nicolas. Ce n'est pas un compte-rendu de ses voyages.
  • C'est quoi alors?
  • Une Bible.
  • Une Bible?
  • Oui, une Bible!
  • Qu'est-ce que le seigneur rouge a bien pu y lire pour le mettre dans un tel état?
  • Tu crois, Joachim, qu'il a besoin d'une Bible pour être si méchant?
  • Non, July, mais j'aimerais quand même savoir ce qu'il a lu. Cela pourrait peut-être nous aider.
  • Tu as raison, Jo, oncle Tim, nous dit souvent que la Bible est la solution à tous nos problèmes.
  • Justine, il ne faut pas croire tout ce que dit oncle Tim.
  • Si July, il est toujours gentil avec nous. Et souviens-toi comment il a aidé papa, l'année passée. Lisons, on verra bien.
  • Mais à quelle page veux-tu qu'on lise? On peut tomber sur n'importe quelle partie de la Bible.
  • Les filles, j'ai une idée. J'ai remarqué que le seigneur rouge a froissé la page qu'il venait de lire. Feuilletons cette Bible et nous trouverons sûrement une page abîmée.
  • Jo, tu as raison, là, à peu près au milieu du livre, il y a un morceau de page arrachée.
  • Bien, Juju, est-ce que tu peux lire à haute voix pour tout le monde.
  • Que toute la terre craigne l'Éternel! Que tous les habitants du monde tremblent devant lui! Car il dit, et la chose arrive; il ordonne, et elle existe. L'Éternel renverse les desseins des nations, il anéantit les projets des peuples; les desseins de l'Éternel subsistent à toujours, et les projets de son cœur, de génération en génération. Heureuse la nation dont l'Éternel est le Dieu! Heureux le peuple qu'il choisit pour son héritage! L'Éternel regarde du haut des cieux, Il voit tous les fils de l'homme; du lieu de sa demeure il observe tous les habitants de la terre, lui qui forme leur cœur à tous, qui est attentif à toutes leurs actions. Ce n'est pas une grande armée qui sauve le roi, ce n'est pas une grande force qui délivre le héros; le cheval est impuissant pour assurer le salut, et toute sa vigueur ne donne pas la délivrance. Voici, l'œil de l'Éternel est sur ceux qui le craignent, sur ceux qui espèrent en sa bonté, afin d'arracher leur âme à la mort et de les faire vivre au milieu de la famine. Notre âme espère en l'Éternel; il est notre secours et notre bouclier. Car notre cœur met en lui sa joie, Car nous avons confiance en son saint nom. Éternel! que ta grâce soit sur nous, comme nous espérons en toi!
  • Où se trouve ce passage?
  • Dans le psaume 33, Jo.
  • C'est beau. Qu'est-ce que tu en penses, July?
  • Oui, mais est-ce que nous nous sommes attendus à Dieu jusqu'à présent?
  • Non, mais il n'est pas trop tard.
  • Tu crois?
  • Je l'espère.
  • Dieu peut nous délivrer?
  • Jo, July, j'en suis sûre! Si l'oncle Tim était là, il nous dirait de ne pas perdre espoir, qu'il faut y croire. J'ai une idée! On va répéter à voix haute le dernier verset du psaume comme une prière à Dieu. Allez avec moi! Éternel! que ta grâce soit sur nous, comme nous espérons en toi!
  • Éternel! que ta grâce soit sur nous, comme nous espérons en toi!
  • Éternel! que ta grâce soit sur nous, comme nous espérons en toi!

A ces mots, venant du plus profond des cœurs, Joachim se réveille avec ses dix doigts et court embrasser ses soeœurs.
 

 

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(Romains 1.16)

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