Les aventures de Patrick : 6ème borne

Les aventures de Patrick : 6ème borne

- La voilà, Madame Dorcas.

Patrick est médusé. La petite dame qui se rapproche d’eux n’est autre que celle qu’il a vue hier soir sur la foire, cette femme qui distribuait des papiers où il était question de l’amour de Dieu. Non ! n’importe qui mais pas elle. Il se demande ce qu’il a bien pu faire pour avoir tant de poisse. C’est comme si le sort s’acharne sur lui depuis qu’il s’est fait renvoyer du cours de Monsieur Carrelet.

- Je ne peux pas.
- Qu’est-ce que tu ne peux pas ? lui demande Nanard.
- Parler à cette femme.
- Et pourquoi ?
- Hier, je l’ai vue sur la foire. Elle distribuait…
- Oui, je sais, elle est chrétienne, mais tant qu’elle ne distribue pas des coups, moi elle ne me dérange pas. Que du contraire, si tu apprends à la connaître, tu verras qu’elle n’est pas aussi embêtante que cela avec sa religion.
- Seulement, voilà, je ne veux pas la connaître.
- Arrête de faire l’enfant. Elle peut peut-être t’aider. Tu préfères rester dans la rue et devenir comme nous ?
- Je peux bien me débrouiller tout seul.
- Ouais… tu vois où cela t’a conduit de te débrouiller par toi-même.
- Tu ne vas pas me faire la morale maintenant ?
- Non, mais je te conseille de ne pas laisser passer cette chance. Si elle ne peut rien pour toi, tu trouveras autre chose, mais si elle peut faire un truc, alors tu serais bête de ne pas saisir cette opportunité.
- T’es sûr ?
- Puisque je te le dis !

Patrick se résout donc à attendre et voir se rapprocher cette petite dame au visage tout rond et aux petits yeux de souris. De loin, elle l’a reconnu – peu de choses lui échappent – mais elle fait mine de ne pas le montrer. Juste un bonjour lorsqu’elle les a atteint et les formules de politesses habituelles.

- Alors, Roger, tu as bien dormi cette nuit. Pas trop embêté par les jeunes du quartier ?
- Non, pour cela, on a passé une nuit tranquille.
- Et Bernard, il a bien pris les médicaments que j’ai apportés.
- Je pense, demande-lui.
- Bernard, tu as pris tes médicaments ?
- Oui, ne vous en faites pas.
- Si, justement, je m’en fais pour toi. C’est une vilaine bronchite que tu avais la semaine dernière et je ne voudrais pas que cela empire.
- Vous savez, j’en ai vu d’autres.
- Peut-être, mais ce n’est pas une raison pour ne pas se soigner et cracher ses poumons.
- En tous cas, il ne crache pas sur tout, lance Roger avec un sourire en coin.
- Je sais bien, Roger, toi non plus d’ailleurs tu ne craches pas sur le goulot. Je ne vous demande pas de ne plus boire, mais de faire attention à vous et surtout de manger ce que je vous apporte. C’est important de manger. Et si vous avez besoin de quelque chose de particulier, n’hésitez pas à me le dire.
- Justement, on aimerait te demander quelque chose, répond Bernard.
- Qu’est-ce que tu veux ?
- Ce n’est pas pour moi, mais pour le jeune homme qui est avec nous.

Patrick est énervé. Il se contient et n’est pas content que Nanard ait pris sur lui de demander de l’aide à cette étrangère. D’un autre côté, il est un peu soulagé qu’il l’ait fait. C’est donc avec des sentiments mitigés qu’il attend la suite de la discussion.

- De quoi a-t-il besoin ce jeune homme ?
- Je ne sais pas vraiment…
- Non, ce n’est pas à toi que je parle, mais à lui. Il est assez grand pour s’exprimer tout seul. N’est-ce pas ?
- Oui… mais je ne pense pas que vous pouvez quelque chose pour moi.
- Qu’est-ce que tu en sais ?
- Je le sais, c’est comme cela ?
- Ah ! alors je ne crois pas que je puisse t’être d’un grand secours. Enfin, on ne sait jamais. Si tu changes d’avis, je passe tous les deux jours ici. Si tu as besoin de quelque chose, tu viens au point de ralliement près de Roger et Bernard, ou alors à l’entrée de la Gare du Nord les mercredis matins. Tu sais maintenant où me trouver.

Dorcas Marlier lui offre un sourire ferme et amical, les salue et repart vers d’autres rencontres.

- Tu es bête ou quoi ?
- De quoi tu te mêles, Roger ? C’est ma vie, pas la tienne.
- D’accord, mais tu ne crois pas que l’on va te garder avec nous.
- Je le sais bien, mais j’arriverai bien à m’en sortir.
- Là, permets-moi d’en douter, glisse Nanard avec un ricanement qui blesse Patrick.
- Et pourquoi t’en doutes ?
- Parce que je vois bien que tu n’arriveras pas à te dépatouiller tout seul. Tu n’es pas un dur malgré tes faux airs de jeune révolté. Tu ferais mieux de retourner chez toi, dans ta petite vie au chaud, continue-t-il sur un ton volontairement acerbe.
- Tu crois que je vais attendre tes conseils pour partir et vous laisser à vos cannettes ?
- Non, mais tu n’es pas encore parti ? Qu’est-ce que tu attends ?
- Rien. Il n’y a rien à attendre, ni de vous, ni de personne.

Sur ces mots secs, Patrick s’en va, déçu de cet incompréhensible revirement de Bernard. Il n’espérait pas en faire un proche, mais quand même cela aurait été bien qu’ils se quittent sur une base de respect et d’amitié réciproques. Les relations sont souvent compliquées et il ne peut rien y faire. C’est probablement mieux ainsi, après tout, se dit-il. C’était une expérience à faire mais pas à poursuivre. Je la raconterai aux copains et je la brandirai comme un trophée, comme un truc super que j’ai vécu, même si tout n’était pas aussi bien que je leur ferai croire.

Il veut se donner une contenance, mais il est à bout, complètement perdu. Il s’assied sur un banc et met sa tête entre ses deux mains. Il va prendre le premier train, argent ou pas, même s’il a une appréhension de se faire prendre. C’est alors qu’une voix parvient jusqu’à son cœur.

- Jeune homme que puis-je faire pour vous aider ?
- J’ai absolument besoin de cinq Euros pour retourner chez moi, répond-il sans même réfléchir.
- Où habites-tu ?
- A Mons, Monsieur.
- Eh bien, c’est justement ma destination. Je consens à te donner ce qui te manque pour le trajet si tu m’accompagnes.
- Oh ! merci, Monsieur.

Patrick voit, les yeux grands ouverts, le billet sortir du portefeuille et il s’empresse d’aller acheter son ticket. En remontant vers le quai, il se demande si ce bienfaiteur n’a pas d’arrière-pensées, mais il est trop heureux d’entrevoir la fin de ses problèmes qu’il chasse ses réflexions dès qu’il voit le train entrer en gare.

Confortablement installés, l’homme se plonge dans une lecture et Patrick ressort l’enveloppe avec les deux photos. Il y a aussi une fine feuille de papier pliée en quatre qu’il n’avait pas jusque là remarqué. Surpris, il l’ouvre et y lit.

" Mon amour,

Dans ce monde arc-en-ciel où les couleurs se mêlent aux pleurs, aux rires, aux joies, aux larmes d’une humanité mosaïque, tu es celui que j’attendais, celui que j’espérais de mes plus chers vœux. Deux éclats de vie se sont enfin rencontrés pour donner cette étincelle qui embrasera un ardent feu de brousse que les gens bien-pensants ne pourront éteindre. Notre rencontre, c’était hier, aujourd’hui et demain ; un trésor intemporel que rien ni personne ne pourra nous enlever. Une journée après l’autre, les circonstances se font et se défont telles des dunes que le vent façonne. Et voilà qu’au détour d’un regard, d’un de tes sourires, se dessine l’horizon vers lequel je me sens poussée. Et même si d’autres dunes nous entourent et nous barreront le chemin, je sais qu’il ne s’agit pas d’un mirage car mon cœur brûle au-dedans de moi et ton amour me désaltère en chemin. L’eau et le feu se sont entrelacés et jamais on ne vit pareil spectacle ! "

Cette déclaration s’arrête brusquement. Il manque sans doute la suite. Qui peut bien avoir écrit cette prose devant laquelle Patrick a premièrement été amusé, voire un rien moqueur ? La mère de Chloé, une maîtresse de son père, Chloé elle-même ? Qui ? Ce n’est pas une troisième lecture qui lui donnera la réponse.

- Je vois que cela est passionnant, lance l’homme d’en face.
- Oui, bafouille le jeune homme, en prenant soin de ne pas engager la conversation.

Peine perdue.

- Qu’est-ce que tu aimerais faire dans la vie ?
- Révolutionnaire ! s’exclame Patrick qui cherche par cette réplique à mettre fin aux questions de son vis-à-vis.
- Ah ! ce n’est pas évident comme métier, répond l’adulte du tac au tac.
- Je trouverai bien le moyen de lutter contre ce qui est pourri dans notre société.
- Comment comptes-tu t’y prendre ? demande sérieusement le voyageur.
- Par la force, par l’intelligence, par la ruse, par tous les moyens qui m’aideront à y parvenir.
- Si je comprends bien, tout est bon pour que l’injustice recule.
- C’est cela, oui tout est bon.
- Non, je l’ai cru autrefois, mais j’en suis revenu.

Patrick ne répond pas pour clore la conversation. Ce qui ne l’empêche pas de se dire qu’il ne deviendra pas comme cet homme qui a dû échanger ses rêves de jeunesse contre le costume et la cravate. Certes, il veut réussir, avoir de l’argent, mais pas comme cela. Il est sûr qu’il trouvera un autre moyen, même si pour l’instant il ne fait pas grand-chose à l’école et en dehors pour sortir de sa petite vie assez médiocre.

De toutes façons, ce qui le préoccupe pour le moment, c’est l’accueil que ses parents lui réservent. Arrivé à Mons, le long du chemin qui le conduit à la maison, il se demande à quelle sauce il va être mangé. « Le révolutionnaire » se sent tout petit. Il craint la réaction de son père et n’arrive pas à se trouver des excuses qui tiennent la route. Mentir ne ferait que l’enfoncer un peu plus. Alors tant pis, au point où il en est, il est préférable de faire « tête basse » et rentrer dans le rang pour l’instant, en faisant semblant d’avoir appris la leçon.

Sa main se tend vers la poignée de la porte d’entrée. Il s’introduit dans le hall et entend sa mère se lever et s’approcher.

- Te voilà enfin. Tu vas voir ce que tu vas prendre ! Mon fils, pourquoi tu nous as fait cela ? sanglote-t-elle.
- Maman…
- Il n’y a pas de Maman qui tienne. Ne pense pas que tu vas t’en sortir aussi facilement. Cette fois, c’est décidé. On va prendre les mesures nécessaires. Je n’en peux plus de tes frasques.
- Mais…
- Tais-toi quand je te parle. C’est fini le temps de « Monsieur fais ceci, fais cela » sans se soucier des conséquences. Maintenant monte dans ta chambre. Je vais appeler ton père qui est chez Oncle Toni.

Patrick s’exécute et se lâche dans son lit d’où il voit les dernières journées danser autour de lui.

Moins d’une demi-heure plus tard, son père rentre. Cela s’entend dans toute la maison. Sa colère monte dans la cage d’escalier. Cela ne fait pas de doute, il la suivra bientôt.

Patrick attend, mais qu’attend-il exactement ? Il ne le sait pas lui-même. Ce soir, il attendra encore longtemps, car, contrairement à ce qu’il croyait, son père ne le rejoint pas. Cette absence de confrontation l’inquiète plus que les foudres de son père. Exténue, il finit par s’endormir après de longues heures de luttes contre… contre quoi ?

La fin de l'aventure la semaine prochaine

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