Les pauvres et l’Eglise primitive : exemple ou utopie ?

Les pauvres et l’Eglise primitive : exemple ou utopie ?
De quelle manière l’ Eglise primitive a-t-elle vécu son engagement social ? Devons-nous agir de même ?
Un élément bien connu est le partage des biens afin de secourir ceux qui étaient dans le besoin: «Tous ceux qui avaient cru étaient ensemble et avaient tout en commun. Ils vendaient leurs biens et leurs possessions, et ils en partageaient le produit entre tous, selon les besoins de chacun» (Ac 2.44-45).

 Nous voyons un peu plus loin, en Actes 4 :

«La multitude de ceux qui avaient cru n’était qu’un cœur et qu’une âme. Nul ne disait que ses biens lui appartenaient en propre, mais tout était commun entre eux. Avec une grande puissance, les apôtres rendaient témoignage de la résurrection du Seigneur Jésus. Et une grande grâce était sur eux tous. Car il n’y avait parmi eux aucun indigent; tous ceux qui possédaient des champs ou des maisons les vendaient, apportaient le prix de ce qu’ils avaient vendu et le déposaient aux pieds des apôtres; et l’on distribuait à chacun selon qu’il y en avait besoin.» (Actes 4.32-35)

Certes, il ne faut pas idéaliser les premiers temps de l’Eglise. Ces descriptions parlent d’une communauté au tout début de son existence; si le don de soi – et des biens – paraît naturel dans une situation de grande effervescence, il a toujours du mal à se pérenniser !

La suite des Actes, avec le récit d’Annanias et Saphira (Ac 5.1-11), montrera de même que ces descriptions ne disent pas tout de la communauté naissante .



Un thème qui parcourt tout le Nouveau Testament

Pourtant, ce souci des démunis ne se limite pas aux premiers chapitres des Actes; il fera partie des consignes que Paul recevra des Apôtres de Jérusalem (Ga 2.10) et qu’il transmettra aux communautés qu’il fondera (Ga 6.10). La collecte organisée au moment où l’Eglise de Jérusalem se trouvera elle-même en situation de difficulté en est un témoignage éloquent .

Par ailleurs, le détachement des richesses que Jésus préconise dans les évangiles reviendra aussi chez Paul (1Co 7.30-32; Ph 4.6a,11-13).

Quelques années plus tard, dans les épîtres pastorales, le soin des veuves (c’est-à-dire de celles qui étaient parmi les plus vulnérables sur le plan socio-économique) semble même s’être organisé et institué (1Tm 5.9-10).

La première épître de Jean, quant à elle, reste difficile à dater, mais dans cette lettre que l’on peut situer vraisemblablement vers les années quatre-vingts ou quatre-vingt-dix , la conscience d’un nécessaire secours matériel pour ceux qui sont dans le dénuement reste vivace: «Si quelqu’un possède les biens du monde, qu’il voie son frère dans le besoin et qu’il lui ferme son coeur, comment l’amour de Dieu demeurera-t-il en lui?» (1Jn 3.17) .



Pourquoi ce souci de générosité et de sollicitude envers les nécessiteux ?


Une pratique ancrée dans la tradition judaïque...

On pourrait sans doute évoquer les nombreuses consignes de l’Ancien Testament afin de prendre soin des membres faibles de la société: la veuve, l’orphelin, le lévite et l’étranger.

Le judaïsme de l’époque, on le sait, avait une pratique très développée d’aumônes et d’hospitalité à l’intention des pauvres . La communauté de Qumrân pratiquait même le partage des biens de façon systématique , ce qui est d’ailleurs vrai de l’ensemble du mouvement essénien que nous font connaître les écrits de l’Antiquité .

Il y a donc là des éléments de rapprochement intéressants.


...mais aussi un témoignage de la puissance du Christ !

Cette tradition ne suffit pourtant pas à tout expliquer, car dans le texte d’Ac 4,32-35, le partage communautaire va de pair avec la précision qu’«avec une grande puissance, les apôtres rendaient témoignage de la résurrection du Seigneur Jésus» (v. 33).

L’action de l’Eglise naissante est, en fin de compte, la conséquence pratique de la résurrection qu’annonce et explique le témoignage apostolique. La générosité et le détachement évident à l’égard des biens matériels fait partie d’une sorte d’«onde de choc» provoquée par le tombeau vide.


L'accomplissement de la promesse divine

S. Légasse remarque que la précision apportée en Actes 4.34«Car il n’y avait parmi eux aucun indigent (endeês)» – reprend en fait Deutéronome 15.4, d'après la traduction grecque de l'Ancien Testament : «Car il n’y aura pas d’indigent (endeês) chez toi».

Ce qui, dans le texte hébreu, pourrait se comprendre avant tout comme une exhortation – «toutefois, qu’il n’y ait pas chez toi d’indigent» – se transforme dans la version grecque en une promesse qui laisse entrevoir l’époque messianique . Or, comme le souligne Légasse, «c’est ce que la nouvelle communauté accomplit à la lettre».

En d’autres termes, Luc montre dans ces deux passages «[…] les conditions de vie dans le royaume par une anticipation éloquente», au sein de la communauté chrétienne . (S. Légasse, Pauvreté chrétienne)


Vivre l'Evangile

Nous avons là l’explication à la fois la plus immédiate et la plus profonde de l’action de l’Eglise primitive envers les pauvres. Il ne s’agit pas d’alléger simplement, dans un souci humanitaire, les souffrances des nécessiteux, encore moins de vouloir éliminer la pauvreté en tant que fléau socio-économique.

L’action de l’Eglise au Ier siècle se comprend bien plutôt comme l’expression concrète de l’Evangile – de l’Evangile qui proclame la seigneurie de Jésus le Messie.

En d’autres termes, l’Eglise primitive s’est efforcée d’être une manifestation tangible du règne de Dieu qui s’est concrétisé en Christ ; là où, pour reprendre les paroles du Deutéronome, «il n’y aura plus d’indigent».


Que pouvons-nous retenir de tout cela pour notre époque?




d'après l'extrait d'un texte de Donald Cobb, « Entre l'action de Jésus et l'engagement de l'Eglise en faveur des pauvres, quel lien ? », dans Pauvreté, Justice et Compassion, collection Le Défi Michée, Editions LLB, pp 36-40

d'après un texte de Donald Cobb - dans "Pauvreté, Justice et Compassion" - collection Le Défi Michée

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3 commentaires
  • Roland Zaradzki Il y a 9 années, 9 mois

    Les possessifs « mon » et « mien » ont l'air bien innocents sur papier, mais leur usage universel et constant est significatif. Ils expriment la nature réelle du vieil homme adamique mieux que ne le feraient mille volumes de théologie. "J'ai relevé cette note de A.W.Tozer, extrait de son livre: La béné diction de ne rien posséder". Parue sur le site frère ENSEIGNE-MOI.COM. Article très édifiant que je vous invite à partager. Fraternelles salutations en Jésus-Christ.
  • Roland Zaradzki Il y a 9 années, 9 mois

    Certes, il ne faut pas idéaliser les premiers temps de l’Eglise.???? Pourtant, c'est bien la Parole inspirée pour nous enseigner. C'est à l'amour que nous manifesterons la présence de Dieu parmi nous et que le monde saura que nous sommes Chrétiens. Il est si difficile de se détacher de tout ; mais comment alors mourir à soi-même ? Le sujet mériterait d'étre réexaminé ; peut-être verrions-nous des miracles comme autrefois. Bien à vous en Jésus-Christ.
  • Gaston-chrétien Johnson Il y a 10 années, 6 mois

    Le partage est un acte qui fait de nous les imitateurs de Jésus et nous donne le sceau divin dans notre existence qui vient de Dieu. Partager la Parole et ce que nous possédons venant de Dieu qui nous donne pour agir auprès des autres en son Saint Nom..