"Ne me donne ni richesse, ni pauvreté…"

"Ne me donne ni richesse, ni pauvreté…"
Proverbes 30.8b-9 : "Ne me donne ni pauvreté, ni richesse, accorde-moi le pain qui m'est nécessaire, de peur qu'étant rassasié, je ne te renie et ne dise : qui est l’Éternel ? Ou qu'étant dans la pauvreté, je ne commette un vol et ne porte atteinte au nom de mon Dieu." (Bible à la Colombe)
Proverbes 11.23 et Proverbes 30.7-8 : Ces deux proverbes bibliques peuvent nous aider à penser aux personnes pauvres : ils renversent les logiques humaines et ils rétablissent l’équilibre sur cette question très sensible de la richesse et de la pauvreté.
Il est en effet contraire à la logique, à la raison, et aussi à la pratique la plus courante dans le monde économique, ou dans le monde tout court (et bien sûr dans notre petit monde quotidien), que ceux qui donnent le plus s’enrichissent, et ceux qui épargnent le plus s’appauvrissent…
Et pourtant, c’est vrai ! Mais cela est particulièrement vrai si nous plaçons notre confiance en Dieu, une confiance active, une foi authentique qui nous permet de vivre dans ce monde en évitant les pièges d’une trop grande richesse ou d’une trop grande pauvreté.
Pourquoi l’homme ou la femme sage prie-t-il de cette façon : « Ne me donne ni richesse, ni pauvreté… ? »
Parce que la richesse comme la pauvreté peuvent cacher au moins trois pièges en partie mentionnés dans ce proverbe, mais aussi dans d’autres textes du même livre ou de la Bible.

Trois pièges de la richesse :

1. Compter davantage sur soi que sur Dieu : « Si je suis trop riche, je pourrais trahir Dieu en disant : Qui est Dieu ? » C’est une façon de dire que si tout va bien pour nous, nous pourrions être tentés de prétendre que nous n’avons pas besoin de Dieu pour vivre. Nous risquons alors d’oublier que Dieu est à l’origine de toute chose et que tout ce que nous avons dans ce monde, nous le lui devons en quelque sorte.
Nous devons donc prendre au sérieux l’avertissement de Dieu au peuple d’Israël avant qu’il entre dans le pays promis : « Quand tu seras entré dans ce bon pays… Garde-toi d’oublier le Seigneur ton Dieu… » C’est Dieu seul qui nous fait « entrer dans un bon pays », non grâce à notre force personnelle ou notre justice, mais « parce qu’il nous aime »… (voir Deutéronome 7 à 9).

2. L’idolâtrie de la cupidité : l’amour de la richesse est une idolâtrie (Colossiens 3.5) : on fait de la richesse une fin en soi, un dieu qu’il faut servir à tout prix et dont on devient vite esclave, au point le plus souvent de recourir au mensonge et à la violence (morale ou physique). Pour ne pas entretenir l’injustice, il faut alors « choisir entre Dieu et Mammon ». Ce dernier n’était pas à proprement parler une personne ou une divinité bien identifiée à l’époque de Jésus. Ce nom araméen se rapporte à tout ce que l’on possède, nos biens matériels, nos « richesses », en particulier l’argent, avec toutefois une nuance d’injustice.

3. La richesse empêche la semence de Dieu, de l’Evangile, de se développer dans nos vies (voir Luc 8.14 : la parabole du Semeur).
La conséquence d’une trop grande richesse, cela peut être de devenir un « mauvais riche », centré sur lui-même, qui n’a pas d’autre objectif que de se servir lui-même, un être égoïste, avare, cupide, qui fait un mauvais usage de ses richesses. Comme l’écrit l’apôtre Jacques, ces richesses sont alors considérées comme « pourries », à l’image du véritable dépérissement spirituel de celui ou celle qui les possède…
Ce mauvais riche ne donne pas de bons fruits, il s’est corrompu… «Tout bon arbre donne de bons fruits, mais un arbre malade donne de mauvais fruits » déclare Jésus (Matthieu 7.17-18). Or, la corruption est l’un des premiers problèmes des pays pauvres et l’un des principaux obstacles au développement, comme le souligne la campagne Exposed du Défi Michée …

Trois pièges de la pauvreté :

1. La tentation de voler : comment faire pour se nourrir, pour nourrir ses enfants, lorsqu’on tombe dans la plus grande, la plus extrême pauvreté ?
On sait combien ceux qui n’ont pas de quoi vivre peuvent être tentés de trouver des solutions radicales à leur situation, y compris le vol, le mensonge, et parfois la violence, jusqu’au crime… C’est pour cette raison que la prière du sage commence par ces paroles : « Eloigne de moi la fausseté (les mauvaises intentions) et le mensonge… » : cela est vrai pour le riche comme pour le pauvre.

2. La révolte contre Dieu : l’auteur de ce proverbe biblique connaît bien l’enchainement qui peut conduire le riche comme le pauvre à se révolter contre Dieu, d’une manière ou d’une autre. Le pauvre peut être particulièrement tenté d’en vouloir à Dieu de le laisser dans une telle situation de dénuement ; il a un très fort sentiment d’injustice…

3. Enfin le pauvre peut être tout simplement tenté de renier Dieu et d’affirmer, comme le mauvais riche, qu’il n’y a pas de Dieu. C’est une autre forme d’idolâtrie, qui peut aussi mener à la superstition.
La conséquence de la grande pauvreté, cela peut être le désespoir, l’absence de tout projet d’avenir, le sentiment d’être seul au monde et de ne pouvoir compter que sur soi. Plus rarement, cela peut être l’occasion d’un sursaut admirable, mais cela ne suffit pas. Cela peut aussi devenir le prétexte pour ne compter que sur les autres pour s’en sortir…
Parmi les causes de la pauvreté, la Bible n’hésite pas à dénoncer la paresse, notamment dans le livre des Proverbes, ce qui revient à une forme de mensonge : on demande de l’aide alors qu’on pourrait peut-être s’en sortir en travaillant. Dans ce cas, il s’agit d’un " faux pauvre" !
Elle met aussi l’accent sur la liberté que nous avons de faire des bons choix, d’assumer nos responsabilités avec sagesse ; ou de faire de mauvais choix et d’en subir les conséquences…
Mais il n’est pas toujours aussi simple de distinguer entre les vrais et les faux riches, ou entre les vrais et les faux pauvres !
Dans les grandes lignes, les « bons » riches et les « vrais » pauvres comptent d’abord sur Dieu, davantage que sur eux-mêmes pour vivre selon sa volonté. Ils aiment Dieu et leur prochain, qu’il soit riche ou pauvre.

Ce n’est pas un péché d’être riche, car ce ne sont pas les richesses en elles-mêmes qui sont pourries, c’est le cœur de l’homme ou de la femme qui peut se corrompre, se pourrir ; c’est bien l’être humain qui peut hélas pourrir tout ce qu’il touche, tout ce qu’il utilise.
Ce n’est pas un péché d’être riche, à condition de ne pas penser que l’on doit sa richesse à ses seules capacités humaines, et donc à condition d’aimer Dieu et de reconnaître qu’il est le seul souverain sur le monde.

Ce n’est pas un péché d’être riche, à condition, bien sûr, d’aimer son prochain en se montrant sensible à la notion de justice, en se montrant généreux, largement. Il ne s’agit pas nécessairement de se dépouiller à l’extrême, comme le recommande l’apôtre Paul, mais de se contenter davantage du nécessaire que du superflu (et il n’est pas toujours aussi simple de distinguer entre les deux !).

Ce n’est pas une fatalité d’être pauvre… Certes, on peut devenir pauvre à la suite de toutes sortes de circonstances malheureuses, dont on peut être responsable ou non : lorsqu’on perd un travail, lorsqu’un conflit éclate et que l’on est chassé de son pays, lorsqu’on perd un soutien de famille, lorsqu’on tombe gravement malade, etc. Tout cela est particulièrement vrai lorsqu’ on habite dans un pays où la situation politique est instable, où les autorités sont corrompues, où les protections sociales sont rares ou inexistantes. C’est le cas dans de nombreux pays du monde, dans le « Sud » en particulier…

Le « bon » riche doit donc se méfier que sa richesse ne devienne pas un piège pour lui, au point qu’il en oublie Dieu et son prochain, et surtout qu’il oublie que sa foi en Jésus est sa seule véritable richesse.
Car c’est cela qui peut le sauver de tous les pièges : s’il met sa foi en pratique et si cette mise en pratique est inspirée par l’amour. Paul recommande en effet d’être généreux avec joie, et non sous la contrainte, comme si on payait un impôt supplémentaire. C’est bien en donnant qu’on s’enrichit !

Mais le bon riche doit encore exercer sa générosité avec sagesse, avec discernement : mieux vaut apprendre à un pauvre à cultiver son jardin que de lui donner tous les fruits et les légumes (ou de l’argent), sauf cas d’urgence, bien sûr…
Et le « vrai » pauvre doit se méfier de ne pas prendre sa pauvreté comme un prétexte pour se révolter contre Dieu et contre l’injustice qui le frappe ; ou pour compter uniquement sur les autres, au point de s’installer dans une sorte de paresse et d’assistance.

Les pauvres peuvent rechercher des solutions :
- Dans la foi (confiance en Dieu) et la prière, car Dieu « entend la prière des justes » (Proverbes 15.8,29 ; le mot juste est à comprendre ici, dans la foi en Jésus-Christ, comme « justifiés », voir Romains 3.24 ; 5.1, etc.)
- En essayant d’être créatifs : beaucoup s’en sont sortis en mettant tout simplement leur intelligence, leur réflexion, en action !
- En se montrant plus sage dans leurs choix : maîtrise de la fécondité, ordre dans les priorités, bonne gestion, formation, apprendre à mieux cultiver le sol, renoncer aux mirages des jeux d’argent comme la loterie, etc.)

Les riches et les pauvres peuvent donc grandir dans leur foi en Dieu, car lui seul peut vraiment changer leur situation, il peut pourvoir à leurs besoins : c’est sa promesse ! (Matthieu 6.19-34 ; Philippiens 4.19). Le Seigneur peut leur donner un sens équilibré de la justice et la sagesse pour vivre conformément à sa volonté. Il peut susciter en eux l’amour pour les rendre sensibles à la situation de leur prochain : certains riches sont très pauvres spirituellement, ils ont besoin de la prière et de l’assistance spirituelle des pauvres ; et les pauvres ont besoin d’une assistance sage de la part des riches, ils ont surtout besoin de leur respect humain, fraternel et spirituel…
Tout cela est donc vrai au Nord comme au Sud, car il y a des riches et des pauvres dans tous les pays du monde. Les tentations sont souvent très semblables pour les riches comme pour les pauvres, qu’ils soient au Nord ou au Sud ; mais évidemment la situation est sans aucun doute plus sensible, plus préoccupante au Sud, qu’au Nord…

Textes à méditer : 2 Corinthiens 8 (en parallèle avec Deutéronome 8) et Apocalypse 3.
Prédication de Frédéric Baudin à l'occasion de la journée du SEL 2014 -Frédéric Baudin

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