Le pauvre et son procès

Le pauvre et son procès
« Tu ne favoriseras pas l’indigent dans son procès. » (Exode 23.3)

Les pauvres sont vulnérables à diverses situations d’injustice : une analyse approfondie de la pauvreté sous ses différentes formes montrerait que plusieurs facteurs se conjuguent pour aboutir à ce résultat. L’Écriture insiste en particulier sur le cas des procès dans lesquels les droits du pauvre étaient méprisés. Amos, par exemple, dénonce ceux qui « oppriment le juste » et le « rançonnent » et qui « à la porte » « évincent » les pauvres (5.12) : la porte de ville était le lieu où se prenaient les décisions et où se tranchaient les litiges.

Dans ces conditions, on peut être surpris que la Loi de Moïse juge nécessaire de donner le commandement de ne pas favoriser l’indigent dans son procès. Quel avantage pourrait-on retirer en favorisant un pauvre ? L’un des traits caractéristiques de la pauvreté est précisément que le pauvre n’est pas en mesure de donner en échange de ce qu’il demande quelque chose d’équivalent (ou de reconnu comme tel socialement). Jésus appelle les siens à inviter à leur table des pauvres parce qu’ils n’ont pas de quoi rendre à celui qui leur donne (cf. Luc 14.12-14).

Certes, le pauvre n’est généralement pas en mesure de « faire un présent » au juge, de lui donner un « pot-de-vin ». Mais il n’y a pas que les cadeaux qui puissent faire dévier la sentence dans un tribunal. Dans son commentaire sur ce verset, Calvin évoque entre autres cas :

- Une « compassion mal placée » envers un pauvre qui serait coupable, compassion dont la tentation est d’autant plus dangereuse qu’elle peut se couvrir de l’apparence de la vertu (ça « fait bien » de se mettre du côté de la veuve et de l’orphelin).

- Le fait de céder devant la ténacité et les lamentations des pauvres – même si ceux-ci sont dans leur tort.

La pauvreté rend vulnérable à l’injustice… mais elle ne rend pas les hommes bons ou saints. Si les riches commettent davantage d’injustices que les pauvres, c’est parce qu’ils en ont davantage les moyens : mais le réalisme de la vision biblique du péché doit nous amener à nous attendre à ce que les pauvres se rendent aux aussi coupables d’injustices s’ils en ont la possibilité. Nous pouvons constater que le commandement de ne pas favoriser l’indigent dans son procès reflète la sagesse du Dieu qui nous a donné une Écriture toute entière inspirée et utile…

Si nous élargissons la perspective (en passant du jugement au cours d’un procès au jugement que l’on forme dans le travail intellectuel), je crois que ce verset est particulièrement utile à méditer aujourd’hui. Il existe une tendance chez certains à favoriser idéologiquement le pauvre, à présupposer, même sans avoir examiné la question et les différents éléments d’une thématique, que si un homme ou un pays sont pauvres, c’est forcément qu’il y a de mauvais riches quelque part qui en sont les principaux responsables. C'est parfois (ou souvent) vrai, mais quand nous portons un jugement sur une situation, veillons cependant à ne pas favoriser l’indigent, mais à rechercher tout simplement la vérité.

Mais à l’inverse, il ne faut pas porter atteinte au droit du pauvre dans son procès. Tous les pauvres ne sont pas victimes d’injustices, mais tous ou presque courent un risque plus fort que la moyenne dans ce domaine : en cas de problème, ils auront souvent plus de mal que les autres à faire valoir leurs droits. C'est pourquoi la Bible met beaucoup plus fréquemment en garde contre le risque de négliger les droits des pauvres que contre le risque de les favoriser à l'excès ! Cela devrait aussi nous amener à un souci tout particulier de la justice pour ceux qui vivent dans la pauvreté.

La pauvreté fragilise. Elle rend vulnérable à diverses formes d’exploitations et de violences. Elle isole aussi. Dans ces conditions, l’appel à la justice peut être humainement le seul recours. Il importe tout particulièrement de ne pas porter atteinte au droit du pauvre dans son procès. Face à une justice humaine trop souvent défaillante, Dieu déclare à son peuple que lui ne reçoit pas de présent et qu’il fait droit à la veuve et à l’orphelin (Deutéronome 10.17-18) et l’Ecclésiaste affirme que si aujourd’hui la méchanceté se trouve à la place de la justice, il viendra un temps où Dieu jugera le juste et le méchant (3.16-17). Certaines injustices subies par les pauvres échapperont toujours à la justice humaine... mais pas à celle de Dieu.

Que tirer pour nous aujourd’hui de la loi de ne pas porter atteinte au droit du pauvre dans son procès ? Peut-être aurions-nous intérêt à commencer par réfléchir à nos relations à l’intérieur de l’Église : Jacques stigmatise les « juges aux pensées mauvaises » qui donnent la meilleure place aux riches dans l’assemblée (2.1-13). Les critères selon lesquels nous valorisons certains et négligeons d’autres sont parfois aussi superficiels que l’attention portée à l’« habit resplendissant » et à l’« habit misérable » dont parle le texte de Jacques.

Ces lois nous disent aussi quelque chose de la direction dans laquelle nous devrions agir dans la société : empêcher que le droit des pauvres ne soit violé, mais dans un esprit d'impartialité.

Certains chrétiens sont particulièrement engagés dans des actions de terrain à ce sujet (on peut consulter le livre de Gary Haugen, La responsabilité du chrétien face à l’injustice). Le SEL a des partenaires qui sont témoins quotidiennement de violations des droits des pauvres : que l’on pense aux diverses formes d’exploitation des enfants par exemple. Quand le droit des pauvres a été violé (et bien souvent sans qu’il y ait eu de procès), il est bon que des chrétiens soient là pour panser les plaies. La recherche de la justice – qui commence par ne pas porter atteinte au droit du pauvre dans son procès – se prolonge dans les efforts pour fortifier ceux qui sont faibles, par exemple en leur donnant accès à une éducation de base.

Le texte de l’Exode (23.9) appelle également le peuple à ne pas opprimer l’immigrant en souvenir de son passé d’immigrants en Egypte. La grâce de Dieu (qui a délivré Israël de l’esclavage) conduit à la justice envers l’étranger. La lecture de ces lois nous rappellera peut-être aussi qu’il y a eu un Pauvre qui n’a pas vu son droit respecté lors de son procès et qui a été crucifié pour que nous soyons acquittés au jugement de Dieu. Sans la lumière de la grâce de Dieu, les lois concernant la justice ont quelque chose de désespérant et le combat en faveur des pauvres apparaît sans avenir réel. Mais l’espérance de nouveaux cieux et d’une nouvelle terre où la justice habitera et où le pécheur repentant entrera, donne son sens à l’investissement dans des relations marquées par la justice et l’amour. S’ouvre alors la perspective d’apprendre quand renoncer à ses droits pour le bien des autres : veillons à ne pas séparer la recherche de la justice de la recherche de la réconciliation avec Dieu et avec le prochain.

Daniel Hillion
Responsable des relations avec les Églises au SEL

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