Les aventures de Patrick : 2ème borne

Les aventures de Patrick : 2ème borne

La voiture s’engage dans une ruelle étroite. Les portières s’ouvrent pour laisser les quatre jeunes gens sortir. Manu passe son bras autour de l’épaule de Patrick et le dirige vers une vieille bâtisse à quelques pas de là.

- Elle est à toi la bagnole ? lui demande Patrick.

- Eh oui! Je te l’ai toujours dit. Ce n’est pas en restant sur ta chaise en classe que tu feras quelque chose dans la vie.

Ces mots le frappe en pleine face. Manu a raison. Les études c’est pas fait pour lui. Le mieux qu’il a à faire c’est de le suivre.

- Nous voilà arrivés. Viens que je te présente notre repère.

Patrick s’engage à la suite de Manu, suivi de Chloé et de Sergio, dans ce qui lui semble une usine désaffectée.

- Manu, si c’est là que tu crèches, c’est pas terrible.

- Attends de voir, c’est plus loin, lui répond le chef de file.

Débouchant sur une cour à l’arrière du bâtiment, les quatre comparses montent un petit escalier délabré sur la gauche et passent par une porte métallique. Patrick a juste le temps de lire l’inscription sur le mur: “Concierge”.

S’en suit un sombre couloir où il trébuche sur un fût d’huile.

- Pour la surprise tu repasseras, peste Patrick.

- Si tu veux que je te tienne par la main pour te conduire dis-le moi, lui répond malicieusement Manu.

- Non merci, mais si c’est ton repère est comme ce taudis, je préfère ta bagnole, répond Patrick avec un petit sourire en coin.

Enfin le couloir débouche sur une porte qui donne sur une petite pièce. C’est alors que Patrick découvre l’antre de Manu où les couleurs vives répondent au lustre de pacotille qui éclaire bien des objets insolites.

Dans le fond de la pièce un grand rideau orange et bleu sert de toile de fond à un espace salon où un vieux sofa croule sous les magazines, coussins et paquets de biscuits.

- Prenez place, je vais chercher des munitions, lance Sergio.

- Patrick, va-y avec Chloé. J’ai une petite chose à régler. J’arrive tout de suite, lance Manu.

Patrick n’esquisse même pas un regard derrière lui où se trouve Chloé. Cette fille aux cheveux gras et aux yeux tirés le dérange. Il essaie de faire bonne façon mais son comportement le trahit. Sa froideur détone avec les vives couleurs qui l’environnent. Calé à l’extrémité du divan, il attend, sans mot dire, le retour de Manu ou de Sergio.

- Whisky, gin, bière. A vous de choisir! s’écrie Sergio qui est revenu de ce qui semble être la cuisine.

- Vous avez du whisky ? répond Patrick assez étonné.

- Et comment on en a! Tout ce que tu veux et encore plus, lui dit Sergio avec un grand sourire.

Après quelques verres et une conversation sans grand intérêt, Manu revient de l’extérieur assez essoufflé.

- On sort! crie-t-il.

Sans plus d’explications, Patrick se lève.

- Allez-y les gars, moi je reste, dit Chloé.

Trop content de laisser Chloé en plan, Patrick empoigne son blouson et s’empresse de sortir de la pièce. Les voilà partis pour une aventure digne de ce nom, se réjouit-il, sans la fille, avec son ancien copain qu’il a toujours secrètement admiré, dans une ville qu’il ne connaît pas et ailleurs que dans vieux bâtiment désaffecté.

C’est alors que succèdent pour Patrick les sensations les plus grisantes qu’il n’a jamais vécues. C’est comme un rêve. Non! C’est la réalité. Il veut en profiter pleinement. Plus rien ne compte si ce n’est cet enchaînement de découvertes qui le saoule autant que l’alcool ingurgité à chaque étape de ce périple. Il se sent enfin libre, et il ne pense pas un instant à ses parents qui doivent s’inquiéter de sa disparition. Lorsqu’il avait répondu à Manu qu’il était partant pour aller à Bruxelles, il avait bien pensé être de retour chez lui en soirée. Jamais il n’a découché, mais cette nuit de folie s’écoule tel le sang dans ses veines. Il ne s’est jamais senti aussi vivant. Il plonge dans des flots jusqu’à présent inconnus, où Le sac et le ressac le balancent d’une émotion à une autre encore plus enivrante.

Aux petites heures de l’aube, la bande termine sa course au point de départ.

- Manu, tu es vraiment un pote de m’avoir emmené avec toi. Je te revaudrai cela, dit Patrick autant excité que fourbu.

- T’as encore rien vu. C’est comme si tu venais de naître. La vie commence pour toi, lui répond Manu à moitié endormi.

Un air de rap réveille Patrick vers treize heures. Il relève la tête péniblement, puis son corps suit machinalement. Il s’approche de Sergio qui, penché sur un synthétiseur, s’essaie à divers rythmes. Il l’envie et aimerait savoir jouer comme lui.

- Sergio, tu crois que je pourrai devenir un des vôtres ? demande-t-il.

- Cela dépend de toi, lui répond Sergio.
Quelle réponse ! Bien sûr qu’il veut rester et il fera tout pour cela.

- Tu m’apprendras à jouer ?

- T’apprendre à quoi ? A jouer du synthétiseur ou à jouer de la musique ?

C’est quoi ça pour une réponse, se demande Patrick.

- Je ne comprends pas ce que tu veux dire ?

- C’est simple. Si tu crois que savoir mettre tes doigts sur le clavier au bon endroit et au bon moment c’est être musicien, alors tu passeras à côté de ce qu’est véritablement le musique. Il faut vivre la musique avec ou sans instrument.

- T’es spécial comme type. C’est la première fois que je rencontre un gars comme toi.

- Il y en a pourtant beaucoup comme moi. Plus que tu ne l’imagines.

- Alors, Patrick, on rêve de devenir un artiste, intervient soudainement Chloé.

- Laisse-moi, je te cause pas, lui répond Patrick qui ne cache pas son irritation.

- Monsieur ne supporte pas l’alcool. Monsieur s’est levé de mauvais pied. T’étais moins mordant à ton retour ce matin. On aurait dit un petit enfant émerveillé devant les beaux jouets qu’il avait vu, lui dit d’un trait Chloé.

- C’est pas vrai! Il faut toujours que tu mettes ton nez dans ce qui ne te regarde pas. Ne me prends pas la tête. Reste dans ton coin et ne m’approche plus, réplique Patrick en se relevant.

- Tu ne m’aimes pas et je ne t’aime pas, renchérit Patrick, alors, restons-en là et ne viens plus me pomper l’air !

- On ne prête aux autres que ce que l’on a dans son propre coeur, lui répond calmement Chloé.

- Qu’est-ce que tu racontes ?

- Tu m’accuses de ce qu’il y a dans ton coeur, et non dans le mien.

Patrick en rage lui fait face. Il lui assène un flot d’insultes et ne semble plus pouvoir s’arrêter quand Manu intervient.

- On se calme les tourtereaux ! C’est pas mignon tout ça, lance Manu dans l’échauffourée.

Patrick se retourne sur Manu le regard noir. Celui-ci lui adresse un clin d’oeil et enchaîne.

- Il n’y a plus grand chose à manger. Je ne sais pas pour vous, mais moi j’ai faim à engloutir un loup. Patrick, viens avec moi. Il y a une épicerie au coin de la rue, on va au ravitaillement.

- C’est que ...

- Pas de discussion matelot, réplique Manu qui use de son ascendant sur Patrick.

C’est ainsi que les deux jeunes gens longent le trottoir défoncé qui les conduit au petit magasin du coin.

Patrick, excédé par les remarques de Chloé, en profite pour demander à Manu.

- Elle fait quoi avec vous ? C’est pas possible une fille comme ça ! Où tu l’as ramassée ?

- Si tu la connaissais mieux, tu ne parlerais pas de cette manière.

- Oui, eh bien! Tu penses ce que tu veux, mais le peu que je connais d’elle me suffit. C’est pas le genre de fille qui hante mes rêves. Et si elle y mettait un pied, cela serait plutôt un cauchemar.

- Fais attention! Cette “fille” pourrait bien te surprendre.

- Il y a quelque chose entre vous ?

- Non.

- Avec Sergio ?

- Pas plus.

- Alors qu’est-ce qu’elle fait avec vous ?

- Disons qu’elle a eu besoin de nous et nous d’elle.

- Je peux en savoir plus ?

- T’es trop curieux. Je t’expliquerai peut être par la suite. Pour l’instant allons plutôt chercher de quoi se mettre sous la dent.

- Tu me prends pour un gamin. Je suis trop jeune. C’est ça ?

- Tu crois que c’est en montrant les dents que je vais lâcher le morceau ?

- Non, mais ... faudrait pas non plus me promener comme un petit toutou sans me faire entrer dans vos combines.

- Qu’est-ce que tu crois ? De quelles combines tu parles ?

- Je ne sais pas, moi.

- Alors, ne parle pas de ce que tu ne connais pas !

Manu a répondu sèchement. Patrick regarde ses pieds. Il se rend compte que la pluie les accompagne depuis quelques minutes et est maintenant la seule dont on entend la conversation. Voici qu’elle se met à être bruyante. Ce qui entraîne les pas des deux jeunes à entrer dans la danse. On n’entend plus le son des mots, ni même celui des pensées, jusqu’au moment où le crissement d’une porte fait son entrée. Un carillon annonce les deux jeunes hommes dans l’épicerie.

- Allez prends un panier et occupe-toi de la nourriture, interrompt Manu. Moi, je vais chercher de quoi désaltérer notre soif.

- Je prends quoi? Avec quel argent ?

- Ne t’en fais pas, c’est moi qui régale.

Patrick s’éloigne et s’engage dans un rayon. Au détour de celui-ci, il trébuche sur un homme accroupi.

- Eh! fais attention. C’est pas un endroit pour s’asseoir, s’exclame Patrick.

- Verzeihung, Herr. Ich wollte Ihnen nicht fallen lassen, s’excuse à voix basse l’homme qui semble avoir une quarantaine d’années.

- Qu’est-ce que tu racontes ?

- Ich, nicht, über französische Sprache zu sprechen.

- C’est pas vrai! Il ne manquait plus que cela, un pauvre type qui n’est même pas capable de parler français.

- Vous pouvez comprendre ce qu’il vous dit ?

Patrick se retourne surpris de cette remarque. Devant lui, se trouve un asiatique qu’il devine comme un employé avec son tablier et une étiqueteuse en main.

- Non.

- Est-ce que vous vous êtes demandé s’il connaissait le français ?

- Pourquoi est-ce que je me poserai cette question ?

- Donc parler le français c’est la normale pour vous.

- Bien sûr, on est à Bruxelles.

- Le lieu est une chose, le chemin par lequel on est arrivé une autre.

Patrick est interloqué, mais pas énervé comme ses derniers jours. Il s’est même calmé devant cet homme étrange et paisible qui relève délicatement l’étranger tout en lui glissant un paquet de biscuits dans la poche de sa veste.

Si le patron le voit, il sera renvoyé, se dit Patrick en apercevant ce geste.

Après avoir accompagné du regard l’homme au langage inconnu, l’asiatique se retourne vers Patrick et lui dit:

- Avez-vous remarqué qu’il a dû être quelqu’un d’important ?

- Qu’est-ce qui vous fait dire cela ?

- Il vient chaque jour dans mon magasin. Il ne m’a jamais rien volé. Son regard a l’empreinte d’une vie brisée, mais il reste digne. Et si vous l’avez vu assis à terre, c’est parce que ses forces le quittent comme l’espoir de jours meilleurs.

“Son” magasin - ainsi l’épicerie est à lui. Patrick se garde bien de dire ce qu’il a premièrement pensé de son interlocuteur.

- Peut-être était-il un grand musicien ?

- Qu’est-ce que vous en savez ?

- Rien, mais c’est une possibilité.

- Oui, comme celle d’un mendiant qui a fui son pays pour profiter de notre pays.

- Et toi, ne profites-tu pas de la générosité d’autres ? A moins que tu n’aies une autre recette ?

- Ce que je veux dire c’est que vous ne savez rien de cet homme et que vous avancez des choses quoi ne sont peut-être pas du tout vraies. .

- Tu as probablement raison. Il n’est peut être pas musicien, pas même docteur ou ingénieur. Mais, il n’en reste pas moins qu’il a un passé qu’on ne peut lui retirer, si même il ne lui est d’aucun secours pour le présent. Je m’appelle Nguyen, j’ai fui mon pays il y a plus de 20 ans. Il ne se passe pas un jour sans que je vive avec ceux et celles que j’ai laissés, sans que je voie le soleil se coucher sur les collines que j’ai quittées. Là-bas, j’étais le maire de la ville, un personnage important. Ici, je suis l’épicier du coin, celui qui sourit aux clients, à tous les clients. Tu apprendras, jeune homme, que l’on ne juge pas quelqu’un dans la minute où on le rencontre.

Patrick ne comprends pas bien où cet homme veut en venir. Il ne sait que lui répondre. D’ailleurs, Manu ne lui en laisse pas le temps. Comme à son habitude, il plonge dans la situation et plante une de ses interventions comme une bourrasque qui souffle d’où on ne sait.

- Alors, t’as fait connaissance avec notre vénérable Nguyen, intervient-il, sourire aux lèvres.

- Oui, nous venons d’échanger quelques mots, répond l’épicier.

- C’est bien, mais c’est pas une raison pour t’endormir Patrick. Dépêche-toi à remplir le panier. On n’a pas que cela à faire.

En moins d’une minute, Patrick y jette biscuits, chocolats, boîtes de thon et autres victuailles.

- Patrick, chuchote Manu. Regarde, ce que je nous ai pris.

Soulevant son bras, Manu montre subrepticement une bouteille de cognac dissimulée sous son pull.

- C’est tout bon.

- Chut! Idiot, tu veux que l’on se fasse coincer. Chaque semaine, je lui en pique une, et chaque fois il me rend un sourire avec ma monnaie. Avoue que la vie c’est pas triste. Enfin pas pour tout le monde ...

- Voilà, jeunes gens, 22 Euros et 35 cents.

- Allez, paie-le, lance Manu à Patrick qui ne sait plus où se mettre.

C’est pas vrai qu’il lui fait ce coup là. Pas à moi, se dit Patrick qui n’ose pas croiser le regard de l’épicier. Il plonge sa main dans poche faisant semblant d’y chercher de l’argent. Les secondes l’entassent et alourdissent sa main qui est maintenant tout à fait au fond de sa poche.

- Tiens patron, tu sais me faire la monnaie sur cinquante? intervient triomphalement Manu en tendant un billet à l’épicier.

- Bien entendu, et je vais même vous offrir une bouteille de limonade, ajoute le patron avec un sourire plus marqué.

Patrick a cru un moment que l’épicier avait découvert le vol. Il sent dans tout son corps une chaleur qui ne demande qu’à s’extérioriser.

La monnaie en poche, les sacs en mains et la bouteille à même le corps, le carillon, accroché au-dessus de la porte, salue leur départ.

Patrick se contient encore quelques mètres.

- T’es vraiment un salaud. Ne me refais plus jamais un coup pareil, enrage-t-il.

- Si on ne peut plus s’amuser un peu ...

- Tu appelles ça t’amuser! Et s’il nous avait coincés.

- Penses-tu, il n’y a vu que du feu. En plus il nous donne une bouteille de limonade en bonus. C’est pas génial ça ?

- Ouais! N’empêche qu’il ne sera pas toujours aveugle.

- Oh! des aveugles, il en court les rues. Tu verras, il n’en manque pas.

Durant le retour, la pluie fait place un sentiment de soulagement chez Patrick. Pourtant une chose le taraude et le rend quelque peu pensif.

- Dis moi ce qui te tracasses, lui dit Manu.

- C’est que ... enfin ... mes parents ...

- Ne t’en fais pas, je vais tout arranger.

- Comment?

- Comment, je ne sais pas, mais fais-moi confiance. Tu me connais.

Patrick se contente de cette promesse. Il ne peut dire dans quelle mesure il doit y croire, mais il s’en accommode d’autant plus que les souvenirs de la nuit précédente remontent à la surface.

Tout à coup, Manu le prend par le bras. Son visage est devenu blanc. Il l’entraîne brusquement sur l’autre trottoir. Il se sont fait repérer par l’épicier, se dit-il. Sans poser plus de questions, il suit Manu qui court de plus en plus vite, évitant le chemin pris à l’aller. Après s’être engagés dans une ruelle, ils traversent un terrain vague et s’engouffrent dans un passage donnant sur des jardins.

Patrick voudrait bien poser des questions et savoir ce qu’ils fuient, mais la course effrénée de Manu lui donne la seule raison de poursuivre cette cavale à travers les nombreuses questions qui l’assaillent. Il ne sait plus où il est. Son seul repère c’est Manu qui semble connaître le chemin à suivre, du moins l’espère-t-il.

A bout de souffle, ils débouchent sur un autre terrain vague d’où il reconnaît l’arrière de l’usine. Il va enfin recevoir les réponses à ses questions. Encore quelques mètres et autres sombres couloirs, et il écoutera Manu.

- Foutons le camp! Sergio, Chloé, grouillez-vous! hurle Manu en entrant dans la pièce.

- Manu! Tu vas m’expliquer ce qui se passe? crie à son tour Patrick qui peine à se remettre de ses efforts.

Chloé et Sergio sont déjà à la porte.

- Manu, je t’ai demandé de m’expliquer !

- C’est pas le momen t! Ramasse tes affaires, on se casse.

La suite la semaine prochaine...

En parenariat avec www.famillejetaime.com

Vous avez aimé ? Partagez autour de vous !


Ce texte est la propriété du TopChrétien. Autorisation de diffusion autorisée en précisant la source. © 2022 - www.topchretien.com
0 commentaire