les aventures de Patrick : 4ème borne

les aventures de Patrick : 4ème borne

Patrick dévale les escaliers, trébuche, se relève et repart de plus belle. Il sent comme la présence de Chloé dans son dos. Il s’agit de son souffle qui se mêle à son imagination, à sa peur d’être rattrapé. A peine a-t-il franchi le porche d’entrée qu’il s’élance dans une nouvelle course. Il n’ose pas regarder en arrière et ne fixe du regard que le coin des rues qui entrent dans son champ de vision restreint.

Epuisé, il s’arrête et s’assied sur le banc d’un abri de bus. Son premier élan est de plonger sa main dans le sac, quand il réalise qu’il est à la vue de tous. Mais bien plus qu’un accessoire de mode féminin, qui plus est de grande marque, c’est surtout son visage qui le trahit. Son expression reflète le trouble qui lui fait perdre discernement et prudence. Ainsi, malgré sa crainte qu’on lui pose une question sur ce sac qu’il tient fermement serré entre ses deux jambes, il tâte de sa main son contenu bien maigre. Il entend quelques pièces s’entrechoquer et se saisit d’une enveloppe. C’est tout ce qui lui semble intéressant entre ce qui doit être un rouge à lèvres et un paquet de mouchoirs en papier. Avec l’aide de son autre main, il fait tomber l’argent dans l’enveloppe qu’il met discrètement dans sa poche.

A cet instant, un bus s’arrête devant lui. La porte s’ouvre.

Alors, vous montez ?
Non, enfin je sais pas... Vous allez à la gare ?
Quelle gare ? Midi, Centrale, Nord.
Je sais pas.

Poussé par les coups de klaxon des voitures coincées à l’arrière et le temps perdu en raison d’un arrêt inutile, le chauffeur ferme la porte et s’éloigne, passablement de mauvaise humeur.

Pendant qu’il parlait avec cet homme, Patrick avait laissé glisser le sac sous le banc, si bien qu’il se sent maintenant beaucoup plus léger. Son regard, plus franc, monte vers le sommet des façades et il se relève prêt à franchir les obstacles qui le séparent de son train train quotidien. Ce nouvel élan, ou tout du moins ce sursaut de vigueur, est vite plombé quand, à peine quelques mètres plus loin, il entend à l’arrière une conversation qui le glace.

C’est bon, l’affaire est dans le sac!
T’es sûr ?
Puisque j’te le dis. Tu me prends pour un menteur ?
OK, j’te crois… attends un peu, t’as vu celui-là. On dirait qu’il nous écoute.
Eh gars ! tu veux notre photo, ou mieux tu veux qu’on te tire le portrait ?
Ouais, c’est ça, on va t’arranger le portrait pour te faire passer l’envie d’écouter ce qui ne te regarde pas.

Sans attendre la prise de tête, Patrick se sauve à grandes enjambées, soulagé de ce que ces deux jeunes ne parlaient pas de lui et de ce fichu sac. D’ailleurs, que contenait-il ? Il peut bien regarder à présent qu’il est loin de chez Chloé et de ce banc. Tout en marchand, il fait le tour de son butin, six Euros et nonante cents, seulement six Euros et nonante cents, et deux photos de Chloé en compagnie d’une dame qui est probablement sa maman.

J’irai pas très loin avec cela, et en plus je crève la dalle, se dit-il à voix haute en passant près d’un marchand de frites.

Il résiste à la tentation d’en acheter avec le peu qu’il a à sa disposition, mais celle-ci se fait de plus en plus insistante quand il débouche sur la foire du midi où les manèges, attractions et autres vendeurs de nourriture invitent aux plaisirs des sens et du palet. Au bout de quelques centaines de mètres, il cède. Il a trop faim et il se dit que de toutes manières cela ne suffira pas à payer un ticket de train. Alors, à quoi bon souffrir plus. Il faut manger et peut-être s’amuser, si c’est possible. Une boisson et un paquet de frites le délestent de quatre Euros et cinquante cents. L’estomac calmé, il part à la recherche d’une attraction dont le prix ne dépasserait pas deux Euros et quarante cents. Seulement, voilà, il lui manque ne fut-ce que dix cents pour ce qui lui plaît parmi toutes ces sollicitations. Décidemment, tout est contre lui. Il peste sur son sort. De rage, il veut absolument dépenser le peu qu’il lui reste. Ainsi, il voit un palais des glaces dont le prix d’entrée n’est que de deux Euros. Même si cela ne l’enchante pas vraiment, il s’engouffre dans ce labyrinthe de miroirs déformants. Au début, il regrette d’avoir gaspillé son argent, mais quand il se voit plus large qu’il ne l’est, cela lui dessine un sourire, complexé qu’il est de sa frêle apparence. Il se regarde, se contemple, hausse ses épaules, gonfle sa poitrine, arque ses bas et oublie ses problèmes le temps de passer à un autre miroir qui l’amincit. Là, il ne s’attarde pas. Tous les reflets ne se valent pas. A la sortie, une dame distribue des tracts. Elle lui tend un tract où il lit en grands caractères : " Dieu te voit tel que tu es en réalité et il t’aime ".

Brusquement, le forain, patron du palais des glaces, intervient en prenant la dame par le bras et en lui criant son exaspération.

Je vous demande de ne plus venir importuner mes clients. C’est bien compris ?
Mais, Monsieur, ce ne sont pas vos clients. Ils ont quitté votre attraction. Je suis libre de les aborder. Et puis lâchez-moi ! répond la femme qui d’un geste se dégage.
Non, ma petite Dame, vous n’êtes pas libre de déranger les passants. Déjà que les affaires sont dures, alors si en plus des personnes comme vous se mettent à troubler les gens, on va bientôt se retrouver à la rue.
Mais on y est, Monsieur, dans la rue, réplique presque sans réfléchir cette femme au visage paisible.
Ne jouez pas avec les mots, vous m’avez très bien compris. Je ne veux plus vous voir dans les parages, vous et vos papiers de malheur.
Ce n’est pas de malheur qu’il s’agit, bien du contraire…
Non, taisez-vous ! Vous croyez que je ne sais pas ce qui y est écrit.
La vérité.
Non ! un tissu de mensonges pour faire miroiter – vous voyez je peux aussi jouer avec les mots - un monde meilleur. Il n’y en pas de monde meilleur !
Vous en êtes certain ?
Oh que oui ! J’en connais un rayon sur la religion. Vous n’avez pas devant vous un de ses pigeons que vous essayer d’attraper. Je l’ai lue, moi, la Bible.
J’en suis heureuse.
Attendez, je n’ai pas fini. J’ai même failli y croire à tout ce toin toin, jusqu’à ce j’ouvre les yeux et ne comprenne que la Bible, bien plus que mon attraction, c’est le palais des illusions.
Je suis triste de vous entendre parler ainsi, que vous ayez été déçu…
Plus que déçu, Madame, blessé par…
Par des chrétiens ?
Ça, vous pouvez le dire ! Il y en a qui sont de la pire espèce derrière leurs prêchi prêcha.
Vous savez, on ne devient pas chrétien en regardant les chrétiens. Ce n’est pas parce que plusieurs font semblant de l’être ou font du mauvais travail que l’on doit se priver de l’amour de Dieu.
Arrêtez, vous voyez, vous commencez déjà à essayer de me convaincre avec tous vos arguments. Partez, partez, je vous dis !
D’accord, je voudrais juste vous dire une dernière chose.
Soit !
Quand le temps sera venu, réfléchissez sur le fait que vous vous privez de tant de bonnes choses parce que vous mettez de douloureuses expériences entre vous et ces choses. Vous permettez aux souffrances passées, occasionnées par ceux et celles qui vous ont éventuellement fait du tort, de s’installer et de vous barrer le chemin de la paix. Quand vous chercherez vraiment la paix, vous la trouverez en vous tournant vers le sentier que vous avez trop vite abandonné. Au revoir, Monsieur, je ne vous oublierai pas.
Au revoir, Madame, vous feriez mieux de m’oublier.

Patrick a assisté à cet échange qui le fait à nouveau sourire. Il se range plutôt du côté du forain et, comme pour acter qu’il a bien choisi son camp, il froisse le tract reçu et le laisse tomber par terre.

Faire la manche ! C’est la seule solution qu’il envisage pour récolter de quoi payer son billet de retour. Il commence donc à tendre la main dans le hall de gare où les navetteurs se pressent. Hélas, il n’a sans doute pas l’habitude et l’attitude, de telle sorte qu’il ne récolte que trois malheureux Euros en plus d’une heure. Alors qu’il s’impatiente et se désespère de sa situation, les trains se suivent et s’en vont des quais. La dernière correspondance va bientôt arriver et il n’a que cinq Euros et vingt-cinq cents. Il s’angoisse à penser qu’il n’y arrivera. Il s’agite et irrite quelques voyageurs importunés par son insistance.

C’est trop tard, le dernier train est parti. Il fait nuit. A bout de forces, il s’écroule sur un banc et se laisse aller à pleurer. Entre deux sanglots qu’il s’efforce de contenir, il se dit qu’il a été vraiment bête de s’acharner à vouloir de l’argent pour rentrer chez lui. D’un côté, il a volé un sac et de l’autre il s’épuise à payer un billet de train. Ce n’est pas possible d’être aussi idiot ! Pourquoi est-il si empoté ? Ils ont bien raison les professeurs, les Manu, les Sergio, les Chloé et tous les autres de le considérer comme un nul, un pauvre type qui ne ferait rien de bon.

Il n’avait jamais découché et voici qu’une deuxième nuit a revêtu son manteau noir sur son esprit désemparé. A la différence de la veille, il ne peut plus compter sur de soi-disant amis. Il est seul, perdu dans sa tête et au milieu de la gare qui se vide. Le regard embué, il voudrait parler, demander de l’aide, mais aucun mot n’arrive à sortir.


La suite la semaine prochaine

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