L'exclusion

L'exclusion

Cher Pasteur,

Sans domicile fixe, prison, asile de nuit, foyer d'hébergement, soupe populaire, petits boulots, solitude, aide médicale gratuite, éducateur spécialisé, fin de droit, revenu minimum d'insertion…

Non, ce n'est pas un inventaire à la Prévert ! Tous ces termes nous font penser à un fléau de notre époque : l'exclusion. Il est certain que l'exclusion est un phénomène qui affecte profondément l'âme humaine. Du fait que l'Homo sapiens est un être social possédant un instinct grégaire, il a besoin des autres, même si parfois il répugne à se l'avouer à lui-même.

Plus marquant encore que dans la société en général, le besoin de communion est profondément ressenti par les membres d'une église locale. La Bible nous enseigne que nous sommes tous membres d'un même corps, le corps de Christ, qui est l'Église. Depuis que, par la nouvelle naissance, le Saint-Esprit a fait de nous des enfants de Dieu, nous sommes devenus une famille, des frères et des sœurs. Cet instinct grégaire de l'être humain peut, dans l'église, prendre toute sa dimension. Ce qui souligne, soit dit en passant, l'attitude totalement anormale des chrétiens qui prétendent n'avoir nul besoin d'appartenir à une église, se satisfaisant de vivre leur foi chez eux.

Mais ce qui lie ensemble les membres de l'église, bien au-delà d'un simple instinct grégaire, c'est l'amour de Dieu qui a été répandu dans nos cœurs par le Saint-Esprit (Rom 5.5). Il arrive pourtant que certaines situations exigent la rupture de ce lien. L'Évangile est certes le message de l'amour de Dieu, mais il ne prône pas l'amour à n'importe quel prix. L'apôtre Paul fait passer la pureté de l'Évangile avant l'amour :

"Mais, quand nous-mêmes, quand un ange du ciel annoncerait un autre Évangile que celui que nous vous avons prêché, qu'il soit anathème !" (Gal 1.8-9)

L'an dernier, notre pommier a eu la gentillesse de nous donner quelques fruits. Je les ai précieusement ramassés dans un panier. Les plus belles pommes sont allées garnir une corbeille sur la table du séjour, en vue de séduire les gourmands. Quant aux autres, elles sont restées dans le panier en attendant de les éplucher pour faire de la compote. L'une d'entre elles avait commencé à pourrir, ce qui ne m'a pas ému outre mesure. Mais quelques jours plus tard, je me suis aperçu qu'elle avait commencé à contaminer les autres. Alors, afin de préserver celles qui étaient encore saines, elle et ses voisines ont été retirées du panier.

Ce que j'ai fait avec mes pommes, l'apôtre Paul en a vu la nécessité dans l'église :

"Maintenant, ce que je vous ai écrit, c'est de ne pas avoir des relations avec quelqu'un qui, se nommant frère, est impudique, ou cupide, ou idolâtre, ou outrageux, ou ivrogne, ou ravisseur, de ne pas même manger avec un tel homme. Qu'ai-je, en effet, à juger ceux du dehors ? N'est-ce pas ceux du dedans que vous avez à juger ? Pour ceux du dehors, Dieu les juge. Ôtez le méchant du milieu de vous." (1Co 5.9-13)

Le véritable amour revêt différentes formes. Ce qui peut sembler un manque d'amour à l'égard d'un membre de l'église qui persiste à vivre dans le péché (il ne s'agit pas là de péché accidentel), est en fait un acte d'amour du berger à l'égard du reste du troupeau. Même si elle doit entraîner de grandes souffrances, l'exclusion de l'église est parfois nécessaire.

Bien sûr, il s'agit de situations très exceptionnelles, dans lesquelles tout a été fait pour ramener la personne à la raison, à la repentance et à la restauration, comme la parole de Dieu nous le demande (Matt 18.15-17).

Pourtant, j'ai malheureusement connu des serviteurs de Dieu dont le ministère principal semblait être de vider l'église. On m'a raconté l'histoire d'un tel jeune "nettoyeur" qui se justifiait auprès d'un vieux pasteur, en disant : "Moi, je veux une église propre !" ; et le vieux serviteur de Dieu expérimenté lui répondit : "Tu auras surtout bientôt un seuil de porte propre !"

Que Dieu nous préserve de tels zélateurs assoiffés de pouvoir qui malmènent les brebis du Seigneur pour un oui ou pour un non. En plus de cinquante années de service, je crois n'avoir, avec l'assentiment de l'église, prononcé qu'une seule exclusion ; et je ne suis même pas sûr aujourd'hui d'avoir vraiment tout fait pour l'éviter !

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